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Le bar à poèmes
30 mars 2015

Eugène Guillevic (1907 - 1997) : Le matin

036019-m[1]

Le Matin

 

Le matin

T’est donné,

 

Ne le prend pas

Comme un dû.

          * 

La terre ne tournerait plus,

Le soleil ne tournerait plus.

 

Ce serait donc

Pour toujours le matin ?

          *

Ne vous trompez pas,

Dit le matin,

 

Le cosmos existe

Et vous en êtes.

          *

Au matin

La terre

 

Devient plus autonome

Dans l’univers.

          *

Le matin

Ne paraît pas devoir

 

Déboucher

Sur midi.

 

Il promet

Autre chose.

          *

L’horizon est heureux

De ce nouveau matin,

 

Le matin est heureux

De toucher l’horizon.

          *

Est-ce que le matin

A cisaillé la nuit ?

 

Ou bien l’a dissoute

Comme fait un liquide ?

          *

La mer, la terre

Vont devoir

A partir du matin 

 

Servir de miroir

Au soleil.

          *

La terre

Voudrait savoir

 

Eviter de frissonner ainsi

Dans le matin.

          *

Il y a

Ce qui sépare.

 

Le matin

Tend à approcher.

          *

Le matin

Aurait pu

 

Eclater

Comme une torpille.

          *

Le matin

N’est pas une roue.

 

Il ne tourne pas

Sur lui-même

Pour avancer.

          *

Le matin

Est explorateur.

 

Il ne couvre

Que pour découvrir.

          *

Le matin

Ne fissure pas.

 

Ce qu’il veut

C’est englober.

          *

Le matin

Pousse la lumière

 

A s’étonner

De ce monde.

          *

Le matin

Aime annoncer

Une belle journée

          *

Le matin

Ne déçoit

 

Que ceux

Qui n’aiment pas la nuit.

          *

Le matin,

La lumière

 

Croit toucher ma main

Pour la première fois.

          *

On en voit le matin

 

Qui ne saluent pas

Cette irruption de bleu.

          *

Le matin

Il y a un silence

 

Coloré

Par les lointains.

          *

Le matin

On peut croire

 

Que le soleil

Prêche son utopie.

          *

Le matin

Ne clame pas

 

Qu’il veut nettoyer

Le monde.

          *

Le matin

N’est pas toujours sur de lui.

 

Il recule parfois

Devant sa tâche.

          *

Le matin

Dit qu’il essaiera.

 

Tout

Ne sera pas tenu.

 

La fatigue

N’est pas de mise.

 

Je m’accrocherai

Rumine le matin.

 

Je m’accrocherai

Tant que je pourrai.

          *

Le matin

Pourtant s’installe

 

Comme s’il devait

Ne pas finir de durer.

          *

Ce matin

Que le soleil

 

Avait envie

De flageller.

          *

Ce matin

Etait pourchassé,

 

Il s’est caché

Dans la pluie.

          *

Pour voyager

Pas besoin de bouger.

 

Regarder près et loin

Dans le matin.

          *

Le matin

Connaît sa grammaire,

 

Respecte à peu près

La syntaxe.

          *

Le matin est un peu

Comme le feu dans la cheminée

 

Quand il s’attaque

Au menu bois.

          *

On peut rêver

De matin plus impétueux.

 

Pourvu qu’il n’y ait pas

De gesticulation.

          *

Celui-ci ne sera

Qu’un matin

 

Dans le probable infini

Des matins.

          *

La roche

A le pouvoir

 

D’ignorer qu’au-dehors

Vient le matin.

          *

Que pas un arbre

Ne s’envole.

 

Le matin

A besoin de tout.

          *

La pomme

Toujours étonnée

 

D’être la même et pas la même

Dans le matin.

          *

Le matin convient

Aux mollets nus

Des garçons et des filles.

          *

Dans les villes, dans les champs

Les oiseaux

 

Disent au matin

Ce qu’il fait pour eux.

          *

Chaque matin

Est pour l’oiseau

 

L’anniversaire

De sa naissance.

          *           

Est-ce que la sève

Monte plus fort

 

Quand le matin

Se proclame ?

          *

Les racines

Sont informées

 

Du travail

Que fait le matin ?

          *

Au matin

Les branches

 

Cherchent à se tendre plus

Vers l’horizon.

          *

Pendant la nuit

Chaque feuille était seule.

 

Au matin,

Elle se retrouve en compagnie.

          *

Le matin

 

Toute la musique

Des buissons muets.

          *

Le matin

Les fougères

 

Se regardent

Se saluent.

          *

Jour après jour,

La cime des sapins

 

Est plus désireuse

De se trouver

Dans le matin.

          *

Le matin

Se plaît plus

 

Au duvet

Qu’aux rémiges.

          *

Le matin

N’est pas sans tendresse

 

Pour la rose

En train de passer.

          *

Le matin

Ne s’occupe guère de l’étang.

 

Il le laisse encore

A sa nuit.

          *

Le matin

L’eau qui court ou qui dort

 

Retrouve son pouvoir

De s’ouvrir à elle-même.

          *

Le matin

Voit les rivières

 

Couler contentes

De leur présent.

          *

La ville

A besoin du matin

 

Pour croire

Qu’elle peut exister.

          *

Ce n’est pas

Le matin qui dira

 

Il y a trop d’oiseaux

Dans les villes.

          *

Le coq du clocher

Retrouve au matin

 

Son don et son devoir

De vigilance.

          *

« On s’en tirera »,

 

Déclare au matin

Le cochon de lait.

          *

Dans la cuisine

L’accord conclu

 

Entre le bassin de cuivre

Et le matin.

          *

On voit que le matin

 

Ne regrette pas

D’être venu.

          *

Un matin

Qui n’en a pas l’air,

 

Mais qui a vécu

L’histoire de la terre.

          *

Chaque matin

Comme il signifiait :

 

Attention ! peut-être

Que je suis le dernier

          *

Quand le matin

Se regarde et se voit

 

Il arrive

A son embouchure

          *

Le matin

Est aussi un fleuve

 

Qui enfle et va crever

Dans la verticale de midi ;

          *

Le matin

Se sculpte lui-même,

 

Pas besoin

De modèle.

          *

On ne peut pas parler

Du passage du matin.

 

A quel moment

 N’est-il plus là ?

          *

Certains matins

Rien ne bouge.

 

Même le temps

Ne se cherche pas.

          *

Du matin

Sur l’hôpital,

 

Aussi

Sur l’hôpital.

          *

Il a échappé

A la nuit.

 

Ne lui fait pas,

Toi, matin,

Plus de mal.

1982

 

Possibles futurs,

Editions Gallimard, 1996

Du même auteur :

Herbier de Bretagne (31/03/2014)

Du silence (30/03/2016)   

Les Rocs (30/03/2017)

Bergeries (30/03/2018)

« Dans le domaine... » (30/02/2019)

Lyriques (30/03/2020)

Elle (30/03/2021)

Carnac (I) (30/03/2022)

Carnac (II) (30/03/2023)

Si je pouvais... (30/03/2024

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