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Le bar à poèmes
25 juin 2025

William Cliff (1940 -) : Saint-Hubert

© Jean Jauniaux

 

 

Saint-Hubert

 

 

Alors à Saint-Hubert dans la forêt d’Ardenne,


dans cette ancienne abbaye qui avait été


pendant pas mal de temps un grand pénitencier


pour garçons insolents dont on frappait la couenne

 

 

(« On vous mettra à Saint-Hubert ! » nous disait-on


quand nous nous comportions de façon exécrable),


alors à Saint-Hubert ensemble nous chantions


à quatre voix de la musique formidable,

 

 

Palestrina, Lassus, Amadeus Mozart,


là-bas sous les ogives de la basilique,


nous les avons chantés d’un ton un peu criard


à cause de notre jeunesse catholique

 

 

qui n’avait pas su comme chez les protestants


apprendre à chanter sans brailler à pleines dents.

 

 

Et nous acceptions de dormir dans des dortoirs,


car nous étions d’une jeunesse merveilleuse


qui pouvait étendre ses hypnotismes noirs


sur de vieux matelas de propreté douteuse.

 

 

Le soir on s’en allait aux cafés de la ville


nous saouler de bière et de rire très facile


avant que de rentrer rotants et titubants


dans ces dortoirs sonores, ces lits dégoûtants

 

 

où très vite nous ronflions, ronflions en cadence


comme des bêtes qui sont encore en enfance


et de leurs poings serrés de rêves impossibles


gouvernent leur sommeil vers d’impossibles cibles.

 

 

Alors au matin de nos lits nous surgissions


pour reprendre à quatre voix mixtes nos chansons.

 

 

Parfois nous partions nous promener en forêt


(la forêt toute proche encerclait cette ville),


forêt de Saint-Hubert que notre corps forait


pour fumer son parfum, son mystère érectile :

 

 

oh !comme l’on aimait marcher dans les bois !

 

ah ! quel étonnement en écoutant un cerf


s’enfuir en écrasant de ses sabots le bois


qui craquait sous ses bondissements très fiers !

 

 

Philippe avec sa culotte courte et bâillante


montrait de sa jambe la peau éblouissante


donnant envie de l’embrasser dans ses parties.

 

 

Mais nous reprenions nos choeurs à quatre voix mixtes


dans des ateliers qui toujours à heures fixes


nous imposaient de reprendre leur œuvre grande.

 

 

Et nous donnâmes les Vêpres d’u Confesseur


d’Amadeus sous la baguette d’Oliveira


dont on croyait que le negro spiritual


était le seul répertoire qu’il pût avoir.

 

 

Or cet Américain de peau à moitié noire


(qui m’avait lorgné errant dans la basilique)


nous a démontré alors que son répertoire


n’était pas limité à quelque jazz rythmique,

 

 

quand on l’entendit faire éclater le cantique


de ces Vêpres puissantes ronflant sous les voûtes


et que de sa baguette il nous donnait la trique


tant que nos âmes fusent bousculées toutes,

 

 

alors se retournant il montra une moue


riante en attendant que la foule le loue.

 

 

Oui telle était la vie alors à Saint-Hubert


quand nous chantions là-bas en plein dans la forêt


et que nous célébrions ainsi à cœur ouvert


le don gratuit d’un temps courant vers son progrès.

 

 

Les femmes dormaient dans un autre dortoir pour


bien signifier la séparation sexuelle


mais nous savions qu’une telle faisait l’amour


que très facilement on couchait avec elle.

 

 

E j’étais étonné que tous ces grands garçons


à Saint-Hubert ainsi couchassent sans façons


avec telle femme qui n’était pas trop belle.

 

 

On s’en foutait parce que l’excitant était


ce chant qui émanait de nous dans la forêt


pour célébrer toujours la jeunesse éternelle.

 

 

In, « Haute tension. Poésies françaises d’aujourd’hui »


Le Castor Astral et Maison de la Poésie.330130 Bègles, 2022,


Du même auteur :


Fellations (14/03/2015)


Trajet Namur- Charleville (13/03/2016)


« je croyais que la vie… » (02/12/2017)


Londres (26/03/2019)


Fausses vacances (25/06/2024)
 

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