William Cliff (1940 -) : Saint-Hubert
© Jean Jauniaux
Saint-Hubert
Alors à Saint-Hubert dans la forêt d’Ardenne,
dans cette ancienne abbaye qui avait été
pendant pas mal de temps un grand pénitencier
pour garçons insolents dont on frappait la couenne
(« On vous mettra à Saint-Hubert ! » nous disait-on
quand nous nous comportions de façon exécrable),
alors à Saint-Hubert ensemble nous chantions
à quatre voix de la musique formidable,
Palestrina, Lassus, Amadeus Mozart,
là-bas sous les ogives de la basilique,
nous les avons chantés d’un ton un peu criard
à cause de notre jeunesse catholique
qui n’avait pas su comme chez les protestants
apprendre à chanter sans brailler à pleines dents.
Et nous acceptions de dormir dans des dortoirs,
car nous étions d’une jeunesse merveilleuse
qui pouvait étendre ses hypnotismes noirs
sur de vieux matelas de propreté douteuse.
Le soir on s’en allait aux cafés de la ville
nous saouler de bière et de rire très facile
avant que de rentrer rotants et titubants
dans ces dortoirs sonores, ces lits dégoûtants
où très vite nous ronflions, ronflions en cadence
comme des bêtes qui sont encore en enfance
et de leurs poings serrés de rêves impossibles
gouvernent leur sommeil vers d’impossibles cibles.
Alors au matin de nos lits nous surgissions
pour reprendre à quatre voix mixtes nos chansons.
Parfois nous partions nous promener en forêt
(la forêt toute proche encerclait cette ville),
forêt de Saint-Hubert que notre corps forait
pour fumer son parfum, son mystère érectile :
oh !comme l’on aimait marcher dans les bois !
ah ! quel étonnement en écoutant un cerf
s’enfuir en écrasant de ses sabots le bois
qui craquait sous ses bondissements très fiers !
Philippe avec sa culotte courte et bâillante
montrait de sa jambe la peau éblouissante
donnant envie de l’embrasser dans ses parties.
Mais nous reprenions nos choeurs à quatre voix mixtes
dans des ateliers qui toujours à heures fixes
nous imposaient de reprendre leur œuvre grande.
Et nous donnâmes les Vêpres d’u Confesseur
d’Amadeus sous la baguette d’Oliveira
dont on croyait que le negro spiritual
était le seul répertoire qu’il pût avoir.
Or cet Américain de peau à moitié noire
(qui m’avait lorgné errant dans la basilique)
nous a démontré alors que son répertoire
n’était pas limité à quelque jazz rythmique,
quand on l’entendit faire éclater le cantique
de ces Vêpres puissantes ronflant sous les voûtes
et que de sa baguette il nous donnait la trique
tant que nos âmes fusent bousculées toutes,
alors se retournant il montra une moue
riante en attendant que la foule le loue.
Oui telle était la vie alors à Saint-Hubert
quand nous chantions là-bas en plein dans la forêt
et que nous célébrions ainsi à cœur ouvert
le don gratuit d’un temps courant vers son progrès.
Les femmes dormaient dans un autre dortoir pour
bien signifier la séparation sexuelle
mais nous savions qu’une telle faisait l’amour
que très facilement on couchait avec elle.
E j’étais étonné que tous ces grands garçons
à Saint-Hubert ainsi couchassent sans façons
avec telle femme qui n’était pas trop belle.
On s’en foutait parce que l’excitant était
ce chant qui émanait de nous dans la forêt
pour célébrer toujours la jeunesse éternelle.
In, « Haute tension. Poésies françaises d’aujourd’hui »
Le Castor Astral et Maison de la Poésie.330130 Bègles, 2022,
Du même auteur :
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