Françoise Morvan (1958 -) : Pluie (1)
Pluie
Comme on dit que la pluie murmure
L’enfant mussé dans sa maison de plumes
Sous la soie rouge au fond du vieux grenier
Sent une femme immense qui l’entoure
Femme en blouse à fleurs mauves et mêlées de nuages
Flottant dans le parfum léger des chèvrefeuilles
Poussé avant la pluie par un souffle de vent
Et la chanson se perd au fil de l’air
Sous les arceaux fins de la porcelaine
Glisse un ruban de soie ponceau
Ciel de Verlaine après la pluie
Mauve et gris tourterelle
Jouant à voir le jour à travers les fougères
On a soudain l’enfance et le ciel gris
La pluie légère aussi sur les pois de senteur
Et les soieries et les jeux de patience
Miellat des tilleuls
Brumée sur les feuilles
Pluie sucrée blondeur qui se lèche
Au milieu des abeilles
Clameur avant l’averse
Eclat des draps qui claquent
Gifles de géant dans l’air trouble
Où le merle déroule un cri d’alarme
Rouge éclatant de coquelicots
L’ogre aux sept femmes
A fini d’égoutter ses clés sanguinolentes
Au revers du talus mouillé
Pris de folie les enfants sages
Sortent pieds nus danser dans la prairie
Couronnés d’orage et d’éclairs violets
Renards rendus à leur rage de joie
Tout au fond du ciel jaune un vieux soleil
Tremble à l’instant de sombrer dans le noir
Et quand l’orage crève un cri grandit
Hourvari de rage arraché aux morts
Lueurs de feu aiguisant les lames
Dans la cour assombrie du vieux manoir
Les faux semblent dressées contre le ciel
Et le silence est noir comme un bloc de basalte
Amère et douce endeuillée de musc
La pluie filtrant sur les fleurs de troène
Laisse affleurer serti dans l’air humide
Un chrème à blancheur d’organdi
La pluie sur les melons d’eau douce
L’odeur sucrée du foin qui fume
Mêlée au tabac blond des femmes
Voilant et dévoilant les confidences
Les pruniers que l’on dit mirobolants
Inclinés sous la pluie laissent reluire
Au miroir du ciel leurs menus cœurs rouges
Plus durs que des cœurs de poupée
Même broderie sur le sable
Pattes d’oiseaux feuilles de pluie
Fin plumetis qu’une botte écrase
Comme un visage sous un bloc de boue
Le vent de pluie berçant la balançoire
Emporte la fumée des feux de fanes
Vers l’ouest où vont les bohémiens
Avec les ors de la fête éteinte
La faux sur ce grand paysage
Ne fait qu’une ondée grise
Le vent de pluie passant sur les fougères
S’efface avec ce bruit furtif qui s’évapore
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Pluie
Editions Mesures, 2021
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