Anise Koltz (1928 - 2023) : Le cirque du soleil
(photos François Aussems)
Le cirque du soleil
SOIR I
Enterrer le jour
dans une taupinière
et oublier
dans laquelle
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TU ES L’AUTOUR
Fonds sur moi dans l’herbe
tu es l’autour
qui emporte mon sang
plus haut que la forêt
entends-tu les plaintes
de ma joie
entre tes serres
A MA DROITE
Nous croyons tous
en un Dieu
mais ce qui arrive
n’a pas de nom
Nous sommes comme des ivrognes
devant la nuit -
l’un de nous
fixe trop longtemps son rêve
et devient aveugle
un autre
panse sa vie blessée
un troisième protège
la forme de cire d’une morte contre le matin
qui roule par-dessus les toits
dans un tonneau en feu
C’est un nouveau jour
assourdissant
qui excite la cruauté
Un ange déchu
veille à ma droite
avec des pierres
er des oiseaux morts
Parfois la loi se trompe
la mort tombe dans le piège
dupée comme un gibier
ouvrez le brayon
rendez la liberté
à ce renard enragé
nous avons besoin de ses dents
de la douceur de son pelage
pour aimer
AUTOMNE
En route avec les oiseaux
pour suivre le cirque du soleil
où la lumière mugit
en sautant dans sa cage
en route avec les jongleurs
les saltimbanques
et les géants de l’ombre
en route avec le vent
crieur du cirque
et cornac qui offre ses tresses d’or
et suspend des lampions
aux arbres
en route
avant que les dernières affiches
programmes
et billets d’entées
ne soient piétinés
dans les rues
« UBER ALLEN GIPFELN IST RUH »
La lune s’envase
jusqu’aux yeux
elle est à peine visible
je veux la guetter
écorcher son ventre blanc
et la préparer
sa viande a la saveur
du poisson de mer
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REJOINS-MOI
Rejoins-moi
dans mon lit de feuillage
jamais plus
je ne me redresserai
nul autre ne verra la clairière
qui reste de moi
arrache mon écorce
je vivrai toujours
l’été est l’évangile selon saint Marc
MER
Je sais claquer de la langue
mer
je suis un marchand de chevaux
tes coups de sabots m’assourdissent
mais je te monterai
jusqu’à ce que tu t’écroules dans le sable
tu me lécheras les peids
en mourant
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PLUIE II
La pluie
est un grand chien brun
on le fouette on le chasse
à travers les villages
mais dans les champs
il s’arrête et lèche ses blessures
J’AI BESOIN D’’N AUTRE ÂGE
J’ai besoin
d’un autre âge
pour me remettre de toutes mes morts
et d’un avenir
si vieux
qu’aucun prophète
ne s’en souviendra
j’ai fait des adieux
à ma mère
avant de venir au monde
je devais la faire naître
cent fois
avec un pied bot
et un escalier tournant
dans le dos
SI JE N’IMPLORE AUCUN DIEU
Si je n’implore aucun dieu
et que mes veines deviennent plus foncées
par la plus secrète jouissance
qui existait déjà en moi
avant de naître
si la nuit venue
je me débarrasse de mon corps
pour interrompre les cours d’eau
et si j’invente des rimes
pour compter les grains de sable
est-ce cela vivre
si je possède une muselière
pour ma mort
et une flûte
comme les charmeurs de serpents
et que tout reste caché
avec le feu d’artifice
au-dessus de mes genoux
est-ce là mourir
TOUT PERDRE
Aimer
c’est être mortel
et lutter contre
avec toi
pénétrer dans ta chair
en nageant
m’y mordre
et me posséder
tout perdre
pour continuer
à vivre
dans une peau
humide et calme
comme une grotte
TIRE TA BARQUE
Tire ta barque
à mon rivage
ma bouche est enfouie
sous les roseaux
dans midi brûlant
chaque parole s’abat
comme un oiseau mort
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Si tard qu’il se faisait
il n’ y avait pas de mort
ton corps brûlait
comme une lampe
et le mien
restait ouvert
longtemps encore
c’était comme en été
quand les seuils des portes
refroidissent lentement
QUESTION
Les gens qui peuplent mes rêves
d’où viennent-ils
et le cheval aveugle
sous le pommier
auquel je donne le pain de la charité
si ses yeux voyaient
qui me reconnaîtrait
au bruit de mes pas
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LE SOLEIL
Le soleil est un vieil animal domestique
le matin il traîne ses membres engourdis
à travers la cour
et grimpe péniblement dans l’acacia
il y est assis pendant des heures
et se chauffe
au plumage des oiseaux
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Ma naissance
n’existe pas
c’est un nombre
qui ouvre le ventre de ma mère
comme un coffre-fort
ma mort
n’existe pas
c’est un mirage
en moi il y a une cité déserte
avec des puits comblés
ne vous y fiez pas
Traduit de l’allemand par Andrée Sodenkamp
In, Anise Koltz : « Le crique du soleil »
Editions Seghers, 1966
De la même autrice :
Un monde de pierres (I) (08/11/2021)
Un monde de pierres (II) (07/05/2022)
Galaxies intérieures (I) (08/11/2022)
Galaxies intérieures (II) (07/05/2023)
Soleils chauves (08/11/2023)
Je renaîtrai (1) (07/05/2024)
Je renaîtrai (2) (08//11/2024)