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Le bar à poèmes
6 mai 2025

Anise Koltz (1928 - 2023) : Le cirque du soleil

 

 (photos François Aussems)

 

Le cirque du soleil

 


SOIR I

 

Enterrer le jour


dans une taupinière


et oublier


dans laquelle

 

    ------

 

TU ES L’AUTOUR

 

Fonds sur moi dans l’herbe


tu es l’autour


qui emporte mon sang


plus haut que la forêt

 

 

entends-tu les plaintes


de ma joie


entre tes serres

 


A MA DROITE

 

Nous croyons tous


en un Dieu


mais ce qui arrive


n’a pas de nom

 

 

Nous sommes comme des ivrognes


devant la nuit -


l’un de nous


fixe trop longtemps son rêve


et devient aveugle


un autre


panse sa vie blessée


un troisième protège


la forme de cire d’une morte contre le matin


qui roule par-dessus les toits 


dans un tonneau en feu

 

 

C’est un nouveau jour


assourdissant


qui excite la cruauté

 

 

Un ange déchu 


veille à ma droite


avec des pierres


er des oiseaux morts

 

 


Parfois la loi se trompe


la mort tombe dans le piège


dupée comme un gibier

 

 

ouvrez le brayon


rendez la liberté


à ce renard enragé

 

 

nous avons besoin de ses dents


de la douceur de son pelage


pour aimer

 


AUTOMNE

 

En route avec les oiseaux


pour suivre le cirque du soleil


où la lumière mugit


en sautant dans sa cage

 

 

en route avec les jongleurs


les saltimbanques


et les géants de l’ombre

 

 

en route avec le vent


crieur du cirque


et cornac qui offre ses tresses d’or


et suspend des lampions


aux arbres

 

 

en route


avant que les dernières affiches


programmes


et billets d’entées


ne soient piétinés


dans les rues

 

 


« UBER ALLEN GIPFELN IST RUH »

 

La lune s’envase


jusqu’aux yeux


elle est à peine visible

 

 

je veux la guetter 


écorcher son ventre blanc


et la préparer

 

 

sa viande a la saveur


du poisson de mer

 

    ------

 

REJOINS-MOI

 

Rejoins-moi


dans mon lit de feuillage

 

 

jamais plus 


je ne me redresserai

 

 

nul autre ne verra la clairière


qui reste de moi

 

 

arrache mon écorce


je vivrai toujours

 

 

l’été est l’évangile selon saint Marc

 


MER

 

Je sais claquer de la langue


mer


je suis un marchand de chevaux


tes coups de sabots m’assourdissent


mais je te monterai


jusqu’à ce que tu t’écroules dans le sable 


tu me lécheras les peids 


en mourant

 

    ------

 

PLUIE II

 

La pluie 


est un grand chien brun

 

 

on le fouette on le chasse


à travers les villages

 

 

mais dans les champs


il s’arrête et lèche ses blessures

 


J’AI BESOIN D’’N AUTRE ÂGE

 

J’ai besoin


d’un autre âge


pour me remettre de toutes mes morts


et d’un avenir


si vieux


qu’aucun prophète


ne s’en souviendra

 

 

j’ai fait des adieux


à ma mère


avant de venir au monde


je devais la faire naître


cent fois


avec un pied bot


et un escalier tournant


dans le dos

 


SI JE N’IMPLORE AUCUN DIEU

 

Si je n’implore aucun dieu


et que mes veines deviennent plus foncées


par la plus secrète jouissance


qui existait déjà en moi


avant de naître


si la nuit venue


je me débarrasse de mon corps


pour interrompre les cours d’eau


et si j’invente des rimes


pour compter les grains de sable

 

 

est-ce cela vivre

 

 

si je possède une muselière


pour ma mort


et une flûte


comme les charmeurs de serpents


et que tout reste caché


avec le feu d’artifice


au-dessus de mes genoux

 

 

est-ce là mourir

 


TOUT PERDRE

 

Aimer 


c’est être mortel


et lutter contre


avec toi

 

 

pénétrer dans ta chair


en nageant


m’y mordre


et me posséder


tout perdre


pour continuer


à vivre


dans une peau 


humide et calme


comme une grotte

 

 

TIRE TA BARQUE

 

Tire ta barque


à mon rivage


ma bouche est enfouie


sous les roseaux


dans midi brûlant

 

 

chaque parole s’abat


comme un oiseau mort

 

    ------

 

Si tard qu’il se faisait


il n’ y avait pas de mort


ton corps brûlait


comme une lampe


et le mien


restait ouvert


longtemps encore

 

 

c’était comme en été


quand les seuils des portes


refroidissent lentement

 

 


QUESTION

 

Les gens qui peuplent mes rêves


d’où viennent-ils


et le cheval aveugle


sous le pommier 


auquel je donne le pain de la charité

 

 

si ses yeux voyaient


qui me reconnaîtrait


au bruit de mes pas

 

    ------

 

LE SOLEIL

 

Le soleil est un vieil animal domestique


le matin il traîne ses membres engourdis


à travers la cour


et grimpe péniblement dans l’acacia

 

 

il y est assis pendant des heures


et se chauffe


au plumage des oiseaux

 


12 6 28

 

Ma naissance


n’existe pas


c’est un nombre


qui ouvre le ventre de ma mère


comme un coffre-fort

 

ma mort


n’existe pas


c’est un mirage


en moi il y a une cité déserte


avec des puits comblés

 

ne vous y fiez pas

 

 

 


Traduit de l’allemand par Andrée Sodenkamp


In, Anise Koltz : « Le crique du soleil »


Editions Seghers, 1966

De la même autrice : 


Un monde de pierres (I) (08/11/2021)


Un monde de pierres (II) (07/05/2022)


Galaxies intérieures (I) (08/11/2022)


Galaxies intérieures (II) (07/05/2023)


Soleils chauves (08/11/2023)


Je renaîtrai (1) (07/05/2024)


Je renaîtrai (2) (08//11/2024)
 

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