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Le bar à poèmes
11 mai 2025

Francisco Brines (1932 -) : Solo de trompette / Solo de trompeta

 

Photo d'Emilia Gutiérrez

 

Solo de trompette

A Toni Puchol.

 

Quand les regards de tous se connaissaient maintenant vaguement,


A travers les pupilles embrumées par l’alcool,


De cette musique confuse, de la pénombre de cette fumée-là du chaos


Vint un silence imperceptible,


Et une trompette seule, de feu, nous brûlait la vie.

 

 

Ou peut-être était-elle de glace cette musique-là :


Inertes les sons, afin que chacun d’entre-nous


Les rendît mobiles, les remplît d’esprit.


Et pour chacun des hommes


La musique était chant différent : joie stérile


Pour la femme me regardant ; tristesse lasse


Pour de défuntes lèvres et pour le garçon solitaire


Profonde nostalgie de la vieillesse ;


La musique était chant différent, sans que personne sache


Sa résonance unie, son intense douleur.

 

 

Rien, dans cette pièce sombre, ne concordait avec la vérité de l’homme :


La stridente émotion du musicien était fausse,


Grossière, l’illusion des autres.


La vérité est humble et elle est simple.


La solitude, partagée avec les autres solitudes,


Avive encore l’impuissance,


Elle pousse l’homme alors aux régions héroïques


Par le seul sentiment.


Il tombe ensuite sur l’âme une lassitude


De la lutte inutile, se défont


Tant de fausse vertu, la feinte pureté ;


Et lorsque la trompette, défaillante, s’éteint dans le silence,


Seuls subsistent visibles, découverts à la fin, les plus cachés


Et tenace des vices :


Les yeux se reconnaissent et la pitié peut naître,


Quelqu’un peut même éprouver un tiède amour.

 

 

La trompette de feu,,


Muette sur une table, elle nous semble jaune,


Elle est vielle et rayée.

 

 


Traduit de l’espagnol par Yves Aguila


in, « Anthologie bilingue de la poésie espagnole »


Editions Gallimard (Pléiade), 1995

 


Du même auteur :

 
Se regardant dans la fumée / Mirándose en el humo (11/05/2017)


Quand je suis encore la vie / cuando yo aún soy la vida (11/05/2018)


Le pacte qui me reste (11/05/2019)


« Le balcon donne sur le jardin... »  / « El balcón da al jardín... » (10/05/2020)


Scène secrète (11/05/2021)


Vers épiques / Versos épicos (11/05/2022)


L’œil solitaire de la nuit (11/05/2023)


Epiphanie romaine (11/05/2024)

 


Solo de trompeta

 

A Toni Puchol.

 


Cuando ya las miradas de todos se conocían vagamente,

 

A través de las pupilas nubladas por el alcohol,

 

De aquella música confusa, de la penumbra de aquel humo del caos

 

Y una trompeta sola, de fuego, nos quemaba la vida.

 

O acaso era de hielo aquella música:

 

inertes los sonidos, para que cada uno de nosotros

 

los hiciese movibles, los llenase de espíritu.

 

Por cada uno de los hombres

 

la música cantaba diferente: con alegría estéril

 

en la mujer que me miraba, con cansada tristeza

 

en unos yertos labios, y en el muchacho solitario

 

 


con profunda nostalgia de vejez;

 

la música cantaba diferente, sin que nadie supiera

 

cómo sonaba junta, con qué intenso dolor.

 

 


En aquel cuarto oscuro nada correspondía a la verdad del hombre:

 

la emoción estridente del músico era falsa,

 

torpe el engaño de los otros.

 

La verdad es humilde y es sencilla.

 

La soledad, al compartirla con otras soledades,

 

hace más viva la impotencia.

 

y empuja al hombre entonces a regiones heroicas

 

con sólo el sentimiento.

 

Después cae un cansancio sobre el alma

 

por esta lucha inútil, se resiente

 

tanta falsa virtud, la mentida pureza;

 

y cuando la trompeta, desmayada, se extingue en el silencio,

 

sólo quedan visibles, descubiertos al fin, los más ocultos,

 

los más tenaces vicios:

 

se reconocen las miradas, y puede haber piedad,

 

y hasta sentir alguno un tibio amor.

 

 

La trompeta de fuego,

 

muda sobre una mesa, la vemos amarilla,

 

y está vieja y rayada.

 

 


Palabras à la oscuridad


Insula, Madrid, 1966

 

 

Poème précédent en espagnol :


Atahualpa Yupanqui : Baguala (10/03/2025)

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