Francisco Brines (1932 -) : Solo de trompette / Solo de trompeta
Photo d'Emilia Gutiérrez
Solo de trompette
A Toni Puchol.
Quand les regards de tous se connaissaient maintenant vaguement,
A travers les pupilles embrumées par l’alcool,
De cette musique confuse, de la pénombre de cette fumée-là du chaos
Vint un silence imperceptible,
Et une trompette seule, de feu, nous brûlait la vie.
Ou peut-être était-elle de glace cette musique-là :
Inertes les sons, afin que chacun d’entre-nous
Les rendît mobiles, les remplît d’esprit.
Et pour chacun des hommes
La musique était chant différent : joie stérile
Pour la femme me regardant ; tristesse lasse
Pour de défuntes lèvres et pour le garçon solitaire
Profonde nostalgie de la vieillesse ;
La musique était chant différent, sans que personne sache
Sa résonance unie, son intense douleur.
Rien, dans cette pièce sombre, ne concordait avec la vérité de l’homme :
La stridente émotion du musicien était fausse,
Grossière, l’illusion des autres.
La vérité est humble et elle est simple.
La solitude, partagée avec les autres solitudes,
Avive encore l’impuissance,
Elle pousse l’homme alors aux régions héroïques
Par le seul sentiment.
Il tombe ensuite sur l’âme une lassitude
De la lutte inutile, se défont
Tant de fausse vertu, la feinte pureté ;
Et lorsque la trompette, défaillante, s’éteint dans le silence,
Seuls subsistent visibles, découverts à la fin, les plus cachés
Et tenace des vices :
Les yeux se reconnaissent et la pitié peut naître,
Quelqu’un peut même éprouver un tiède amour.
La trompette de feu,,
Muette sur une table, elle nous semble jaune,
Elle est vielle et rayée.
Traduit de l’espagnol par Yves Aguila
in, « Anthologie bilingue de la poésie espagnole »
Editions Gallimard (Pléiade), 1995
Du même auteur :
Se regardant dans la fumée / Mirándose en el humo (11/05/2017)
Quand je suis encore la vie / cuando yo aún soy la vida (11/05/2018)
Le pacte qui me reste (11/05/2019)
« Le balcon donne sur le jardin... » / « El balcón da al jardín... » (10/05/2020)
Scène secrète (11/05/2021)
Vers épiques / Versos épicos (11/05/2022)
L’œil solitaire de la nuit (11/05/2023)
Epiphanie romaine (11/05/2024)
Solo de trompeta
A Toni Puchol.
Cuando ya las miradas de todos se conocían vagamente,
A través de las pupilas nubladas por el alcohol,
De aquella música confusa, de la penumbra de aquel humo del caos
Y una trompeta sola, de fuego, nos quemaba la vida.
O acaso era de hielo aquella música:
inertes los sonidos, para que cada uno de nosotros
los hiciese movibles, los llenase de espíritu.
Por cada uno de los hombres
la música cantaba diferente: con alegría estéril
en la mujer que me miraba, con cansada tristeza
en unos yertos labios, y en el muchacho solitario
con profunda nostalgia de vejez;
la música cantaba diferente, sin que nadie supiera
cómo sonaba junta, con qué intenso dolor.
En aquel cuarto oscuro nada correspondía a la verdad del hombre:
la emoción estridente del músico era falsa,
torpe el engaño de los otros.
La verdad es humilde y es sencilla.
La soledad, al compartirla con otras soledades,
hace más viva la impotencia.
y empuja al hombre entonces a regiones heroicas
con sólo el sentimiento.
Después cae un cansancio sobre el alma
por esta lucha inútil, se resiente
tanta falsa virtud, la mentida pureza;
y cuando la trompeta, desmayada, se extingue en el silencio,
sólo quedan visibles, descubiertos al fin, los más ocultos,
los más tenaces vicios:
se reconocen las miradas, y puede haber piedad,
y hasta sentir alguno un tibio amor.
La trompeta de fuego,
muda sobre una mesa, la vemos amarilla,
y está vieja y rayada.
Palabras à la oscuridad
Insula, Madrid, 1966
Poème précédent en espagnol :
Atahualpa Yupanqui : Baguala (10/03/2025)