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Le bar à poèmes
27 avril 2025

Claude Vigée (1921 -2020) : Programme des obsèques

 

 

 

Programme des obsèques

 

Tous les oiseaux qui volent


veulent rentrer sous terre.

 

 

Au temps de la Toussaint


le jour pluvieux des cloches


allume au crépuscule un feu gris et tardif,


autour du toit d’ardoises


du Diaconat que noie


une marée immense de brouillard.

 

 

Pour aller à l’enterrement


ce soir glacial de fin d’automne


quelques petites vieilles


impatiemment rangées


le long des acacias dans l’allée aux troncs morts


serrent avec colère un maigre sac à main


à la soie décousue, orné de perles noires.

 

 

Il glisse entre leurs doigts


noueux et malhabiles,


grossièrement sculptés


- comme au couteau de poche –


dans quelques lanières d’écorce


ramassées par hasard


sur le bord du trottoir.

 

 

Portant avec sérieux leur chapeau-cloche en dur,


fait de paille tressée et vernie, inusable,


à travers la boue brune elles marchent en corps,


vifs insectes crispés


                              moulant leur carapace


dans le drap rêche et vert


                                           des lourdes pèlerines.

 

 

Vers le fond du jardin déserté pour l’hiver


coqs et poules au loin en choeur se précipitent


sous le vieux cognassier flambant de tous ses fruits,

 

 

quand tel un cri d’adieu se dissipe dans l’air


le choral aigre et clair des sœurs diaconesses


à travers la pénombre du ciel nuageux.

 

 

Sur leur profil sans âge une cornette brille


comme un croissant de lune, immaculée et nette :


jusqu’au bout du voyage elle éclaire le cours

 

 

des pauvres pécheresses.


Mais les personnes pieuses sont toujours


de leur démon maîtresses.

 

 

Dans l’église aux murs nus


                                           sous un orgue vétuste


leurs hymnes se marient


aux voies en deuil des autres pensionnaires


- dames amies


   parentes


   survivantes


                    à quoi au juste ?

 

 

Sous la coupole incendiée


de l’arbre qui s’éteint au verger de novembre,


près du ruisseau dallé

 

 

de cailloux noirs et rouges,


tout à coup part l’ultime et fou


rire des coings mûrs qui éclatent !

 

 

Tous les oiseaux qui volent


veulent s’enfuir de  terre.

 

 

 

Délivrance du souffle


Editions Flammarion, 1977

 


Du même auteur :


L’eau des sombres abysses (03/04/2015)


La clef de l’origine (03/04/2016)


Noyau pulsant (03/04/2017)


« Entre la terre obscure… » (03/04/2018)


Dans le défilé (27/04/2019)


Passant près d’un banc vide / Ich geh àm e läre bänkel verbéi (27/04/2020)


La fin à l’horizon / Bâll schpeetsummer (27/04/2021)


Pâque de la parole (27/04/2022)


« Parfois je crois surprendre... » / « Mànischmool glaawi... » (27/04/2023)


Hors des matrices du sel (27/04/2024)
 

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