Ayyappa Paniker (1930 – 2006) : Sacrifice
Sacrifice
Regarde là, vers l’est
l’horizon est une lueur rose :
les étoiles voisines
pâlissent devant la lueur croissante..
Ecoute le grincement et le fracas des roues
du char du soleil en route vers le sud.
le bec de la lumière s’ouvre
et avale l’obscurité.
Le ciel s’assombrit
à mesure que la distance augmente.
Que prendrons-nous avec nous
pour entretenir la vie toujours différée ?
Aux générations à venir
que transmettrons-nous ?
Que le Feu s’épure
et s’enchâsse dans le cœur !
La lumière, ce sera pour le voyage,
et la chaleur pour quand il fera froid,
une aide à la cuisine
une présence divine au sacrifice.
Rendez le Feu propice
et intériorisez-le pleinement :
il favorise à l’intérieur
la croissance des vergers,
écarte le contact du mal,
purifie par tout ce qui brûle ;
que l’esprit soit glorifié
et le feu de l’esprit !
Quoi qu’il y ait dans le monde des sens
et à cet autre niveau au-delà des sens
quoi qu’il y ait à l’horizon,
quoi qu’il arrive dans le cours de l’évolution
et au-delà de l’évolution
dans les mains, les pieds et les yeux,
dans les oreilles et dans le cœur,
quel que soit le poétique, le passionnément désiré,
sachez qu’il s’agit du feu.
Emplissez l’esprit
d’hymnes au feu ;
emplissez les cellules nerveuses
d’une pulsation infinie ;
élevez l’esprit à des visions qui partout se
disséminent comme une mine de diamants ;
embrassez-le de bouches volcaniques
comme le désir d’amour ;
chantez-le jusqu’à le faire jaillir comme le
Seigneur au centre du lotus ;
maintenez-le à vos pieds, en esclavage,
grâce à vos chants de louange.
Le feu est la semence de la science,
l’essence du Véda, le suc du mot,
mécanique, magie et enchantement :
tous sont des étincelles du feu.
Les grands malheurs, le feu les transforme
en pouvoirs mystiques ;
ouvrez chaque blessure
en une fleur épanouie ;
quand la cicatrice disparaît,
la blessure peut palpiter à l’intérieur
et dans l’eau qui court
faire fleurir le rouge lotus ;
comme le sang qui goutte
du pétale qui se fane,
la froide eau de la rivière
montre en son sein la traînée de sang.
L’eau est pour nous pureté
la vie même de notre vie ;
le feu est le père, l’eau la mère
l’air l’épouse, la terre les enfants,
et le reste est l’éther ;
ce sont les cinq éléments.
D’eux cinq sont nées
les six anciennes passions ;
à moins qu’elles ne soient ensevelies,
le voyage sera vain.
Les feux du désir
enchaînent l’esprit,
un millier de serpents aux langues fourchues
et aux poches à venin ;
le corps, ses articulations déformées,
insensibilisé par les désirs insatiables ;
le visage, la poitrine et les aines :
nous convoitons les jouissances,
la coquetterie qui pue,
livrée à elle-même pendant deux jours,
l’espionnage qui corrompt
aussi bien le maître que l’élève : ces choses
nous sont malédictions, ce sont aussi
des pouvoirs qui nous prêtent assistance ;
si nous perdons jamais ces choses,
nous ne pouvons plus avancer ni reculer.
Quand tu pars pour un long voyage,
ne t’engage pas les mains vides :
beauté et vertu
peuvent être accumulées sans danger ;
chacune fournira sa protection
et soutien à l’autre.
Quand la beauté est dédaignée,
la vertu est sur son déclin ;
là où la vertu décline,
la beauté se corrompt.
Mains et pieds sont parallèles
dans leur mouvement et leur usage.
Quand le soleil fait face à l’est,
à notre droite se trouve le chemin vers le sud.
Tiens-toi fermement sur le pied gauche,
avance le pied droit ;
tiens-toi fermement sur le pied droit,
avance le pied gauche ;
deux pieds devraient suffire
si aucun des deux n’est artifice.
Et avec ces deux pieds
nous pourrons mesurer les trois mondes.
Traduit de l’anglais par Gérard Augustin
In, Ayyappa Paniker : « La migration des tribus »
Editions de l’Harmattan, 2001
Du même auteur : Exode (24/03/2024)