Ayyappa Paniker (1930 – 2006) : Exode
Exode
Demain est le bon moment
pour partir : souvenons-nous.
Les neuf planètes prophétiques
occupent les maisons du ciel propices.
Toute la nuit, observons
le mouvement des étoiles.
Et ensuite, camarades, nous marquerons
sur la carte le cap.
Tenons compte de l’étoile polaire
et suivons la direction opposée ;
à mesure que nous gagnons le sud,
elle s’abaisse :
l’angle s’accroît que nous mesurons
pour calculer la distance,
nous mesurons la longueur des ombres
pour évaluer l’heure du jour,
grâce à la profonde méditation,
nous maintenons la triade du temps.
Intérioriser les choses
doit être notre premier objectif.
Situons avec précision nos pensées
avant d’ouvrir nos sens,.
parce que, aussi large soit leur ouverture,
c’est l’esprit qui gouverne leurs objets ;
ainsi, cultivons d’abord
les pouvoirs de l’esprit
et rappelons nous que cet apprentissage
dure jusqu’à la mort.
Vous exposant ces idées,
je vois la triade du temps ;
le passé non encore né
que nous appelons l’avenir.
Et, amis, qui avez décidé
d’aller vers le sud,
regardez, l’aube est toute proche ;
allez de l’avant, pleins d’assurance.
Les patriarches peuvent déplorer
cette partance vers le sud ;
laissons-les vivre ici
et éloignons-nous.
Chaque pas en avant
redresse un peu notre mémoire :
au sud, les nouvelles de la mort
nous donneraient du courage.
Là, la déesse de la mort
attend pour nous accueillir,
la déesse qui reste
blottie entre les plis de la mer.
Les horreurs de la guerre, les retranchements,
les peurs terribles, la pestilence,
les trous noirs sans fond de la nuit
les mystérieuses terreurs irréfléchies.
En avant, d’un pied fermement
posé sur la terre
nous regardons pas en arrière ; pour nous
il n’y a pas de retour,
rien pour rappeler le passé ;
le temps adhère à une seule piste.
Il arrive, il est sur le point d’arriver,
il n’a cessé d’arriver -
c’est son pas coutumier
le perpétuel présent.
L’homme est le processus de création,
non la chose créée ;
non un point, mais une ligne,
le mouvement ne cesse pas.
Les ennemis se tiennent sur notre route,
Ils sont nés avec nous ;
rien qu’en les affrontant,
nous touchons à la plénitude.
Quand le temps bute sur une impasse
ils ouvrent une porte ;
à travers elle, une fois encore,
nous accomplissons notre renaissance.
Privés d’ennemis,
nous sommes sans ressources :
et nous avons pour but
ce que nous ne sommes pas.
Traduit de l’anglais par Gérard Augustin
In, Ayyappa Paniker : « La migration des tribus »
Editions de l’Harmattan, 2001