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Le bar à poèmes
25 janvier 2025

Erwin Kruk (1941 – 2017) : Langue

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Photo: Museum  Olsztyn

 

Langue

 

 

Langue à bout de souffle,

 

De ma Terre de Nod

 

Sur le chemin de la mer.

 

Comme le gibier sauvage

 

Traqué, fuyant

 

Les braconniers.

 

Cachée parmi les voisins

 

Et qui perd son souffle.

 

Partie de la face de la terre.

 

 

 

Cette langue. Je la vois encore

 

Saigner au fil des siècles

 

Au-dessus de l’horizon vagabond

 

Se retourner

 

Comme un spectre timide

 

Vers le Nord natal.

 

Là-bas brille son stigmate et sa sainteté

 

Et le péché des tribus baltes

 

Je vois sa tête comme une tête qui choit.

 

 

 

Des fils célestes

 

Sur les tempes lézardées

 

De la fumée de cheveux défaits.

 

« Nusam deininan geittin

 

dais numons schindeinan »

 

Dans le reflet des nuages blessés

 

Dans les bouches ouvertes du soir

 

La vanité sacrifiée :

 

« Pardonne-nous nos offenses »

 

 

 

Elle va droit devant

 

Privée des gens et de la terre

 

La langue que les fleuves ont conduite,

 

Des voix des demeures au bord de l’eau,

 

L’émeraude des pins et les bosquets de chêne,

 

Tribus prussiennes et nuages païens,

 

Le beau temps d’autrefois

 

De l’existence insouciante.

 

Expéditions dangereuses,

 

Replis nécessaires vers la mer,

 

Silences infinis

 

Tumulus éventrés.

 

 

 

La langue après laquelle sont restés

 

Des visages perdus par les siècles

 

Et des prénoms obscurs,

 

Explications hâtives

 

Comme l’influence de dialectes étranges.

 

Et puis des langues mêlées

 

Partagées selon leurs parlers et croyances,

 

Rechercher les étrangers et repousser les étrangers

 

Et le silence sur une respiration retenue

 

Qui démarquait

 

Le ruisseau, les hameaux et les collines,

 

La méfiance de la langue perdue,

 

Ses lamentations vaines.

 

 

 

Il me semble parfois

 

Que les nuages les herbes et les forêts le savent.

 

Eux aussi ont beaucoup marché.

 

Les langues étrangères

 

Les ont chassés jusqu’à la mer.

 

Elles ont écouté les voix essoufflées,

 

Les vents et tempêtes qui éclataient

 

Quand les vagues immémoriales retournaient

 

Inscrites dans la lumière et le sel

 

Pages tombées dans l’oubli.

 

 

 

La langue est un peu obscure

 

Comme dans l’anonymat

 

Comme dans le murmure de la mer scrupuleuse

 

Un peu morte et lointaine.

 

 

 

Mais tout est en elle

 

Ce qui était promesse

 

Et vie se meut :

 

L’étoile du petit matin et du soir,

 

Arêtes sur les dunes

 

Et sur la peau vorace de la mer

 

Roulent des boules de poils.

 

Et les pleurs et les joies des exilés.

 

Et leur perte moins pesante

 

Visage de la terre

 

 


Traduit du polonais par Frédérique Laurent

 

in, « Ciel et lacs. Anthologie de poètes de Varmie- Mazurie »

 

Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2019

 


Du même auteur : Ce n’est pas là-bas (25/01/2024)

 

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