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Le bar à poèmes
23 janvier 2025

Pierre Oster (1933 - 2020) : « La mer est vaste qui se déroule... »

 

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La mer est vaste qui se déroule et ne dévaste aucun jardin.

 

Devant les fermes le soleil terne est une éternité fugace.

 

Les bois que nous vantions sont mouillés du côté du couchant.

 

La majesté que je recherche et que les meules me découvrent,

 

Les lourdes meules de la prairie où de très loin je m’en fus,

 

M’apprend que maintenant ma tendresse à grand train prophétise

 

Qu’une étoile arrachée à la mer est sensible à travers les taillis,

 

Qu’un reflet rose sur le miroir d’une misérable fontaine

 

Précède en nous le dénouement de l’équinoxe ! Et je suis maître de courir,

 

D’idolâtrer la sève encore voyageuse ! Et la pluie opportune

 

S’allège d’un coup d’aile avant de poudroyer sur de basses maisons.

 

Trouve en tempête dans la poussière une bonne et féconde rivale,

 

Lutte sur mon visage avec ma sécheresse, inonde mes yeux clos...

 

Toute terrestre est la sagesse que j’ai nommée ! Et toute ruisselante

 

Est la colline qui se colore alors que les paysages du ciel

 

Sous l’influence d’un souffle pur se tempèrent, s’estompent,

 

D’un souffle inexorable à qui doit redouter l’appel du double exil !

 

 

 

La pluie oblique teinte le sol (et les reliques que je piétine).

 

Un cri d’oiseau (le vent se cabre), un cri d’oiseau m’envahira.

 

Au plus doux de la plaine étale et là même où l’abîme palpite,

 

Où les louanges que je prodigue ont la plaine et la nuit pour objets,

 

L’hiver s’apprête à déchirer la chrysalide des feuillages,

 

A poindre sous la rouille et parmi les dépouilles du jour !

 

Quelques brins d’herbe, quelques débris ; de brillantes brindilles...

 

L’univers en un point m’est si sûr que j’inclinerai au bonheur

 

De murmurer ma réponse à son énigme. Et le bleuissement des montagnes,

 

Ce changement sans rien qui bouge, ou cet évènement sans rien,

 

Nous est le signe qu’il nous faut suivre au long de ses méandres

 

Le fleuve capital et sa pérennité sous l’écorce des corps.

 

L’orage coule sur les coteaux, ses flancs sont gros de nos conquêtes.

 

Une prairie intacte, une maison moins sombre, un oiseau monotone m’émeut.

 

Et la mer en façon de présage, et la mer aujourd’hui m’initie,

 

A mesure que dans mes vers la clarté des mots simples s’accroît,

 

A plus de vérité qu’il n’en viendra jamais dans une bouche humaine !

 

La mer est notre attente, elle abreuve à l’envi les roseaux


.
Elle est les cendres que le vent vanne. Elle est le vent qui brame,

 

Par qui se perpétue, à l’abri d’un buisson, la passion d’un pouvoir partagé !

 

Enfin, sur un dernier pan de mur, l’éclat d’un soleil panique

 

M’avertit que la terre nocturne est tendresse et promesse à son tour,

 

Que les champs de longtemps déserts (sous le chatoiement de l’éteule)

 

Gardent toujours près des tombeaux l’empreinte du printemps.

 

Une odeur de fumure et d’humus domine autour des souches.

 

Notre lot dans la nuit, nuit des chiens et des morts, sera de recevoir,

 

Quoi qu’il advienne du feu du ciel au-delà des montagnes béantes,

 

L’antique identité d’un savoir unanime et des lentes saisons

.
..
Une année a touché le seuil. Un nuage immuable l’annonce.

 

L’hiver livide qui se givre a son gîte en des arbres vaincus.

 

Ah ! qu’importe à mon âme un pays que les dieux déshabitent !

 

L’abîme nous exauce et l’espace augural nous est hospitalier.

 

Quand le silence aura sa place au milieu de la multitude des choses,

 

Nous bénirons la mer confuse et nous effacerons bientôt.

 

L’herbe facile, l’herbe docile est l’écume des flots de la terre.

 

Je la flatte du doigt comme on fait une joue, un sein.

 

 


Le sang des choses

 

In, Revue « La Nouvelle Revue Française, N° 246, Juin 1973 »

 

Editions Gallimard, 1973

 

 

Du même auteur :

 

 Rochers (25/10/2015)

 

Les Morts (07/11/2016)

 

« Le ciel sur les hauteurs… » (06/11/2017)

 

« A l'abri des hameaux... » (07/11/2018)

 

La terre, autre version (24/01/2024)

 

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