René Daumal (1908 – 1944) : Entrée des larves
Dessin de Maurice Henry, 1930, Musée d'Art Moderne de Paris
Entrée des larves
Le suisse de l’église menait paître ses chèvres dans l’avenue vide.
Quelques enfants mouraient ou séchaient aux fenêtres – c’était le printemps
et les mains des hommes se déroulaient au soleil, offrant à tous le pain de leurs
paumes que les enfants n’avaient pas encore mordu.
Sur les terrasses on se retrouvait entre terre et ciel ; il y eut beaucoup de
crânes brisés ce jour-là, de jeunes gens qui voulaient voler au-dessus des
jardins.
Les mouettes et les mouchoirs claquaient dans l’air et cassaient du bleu dans
les vitres, des steamers de cristal s’enfuyaient par-delà les nuages.
Quand le soir vint, ce fut le tour des vieillards ; ils envahirent les rues, assis
sur leurs tabourets de bois grossier, ils charmaient les pigeons et buvaient du
lait chaud.
Le ciel était seulement un peu plus foncé et plus haut.
Les arbres s’étirent dans le parc et tendent des pièges aux papillons de nuit ;
le suisse est rentré dans l’église et les chèvres dorment dans la crypte.
Les femmes hurlent soudain toutes avec des gorges de louves, parce-que
dans les faubourgs s’est glissé un homme nu et blanc venant des campagnes.
In, Revue « Le grand jeu, N°1, été 1928 »
Chez Roger Vailland, Paris, 1928
Du même auteur :
Poème à Dieu et à l’homme (05/07/2014)
Nénie (05/07/2015)
Mémorables (05/07/2016)
La seule (04/07/2017)
Fièvre blanche (04/07/2018)
Le grand jour des morts (04/07/2019)
Le prophète (20/10/2021)
Feu aux artifices (20/10/2022)
Civilisation (20/10/2023)