Patrice Delbourg (1949 -) : « a éclaté le cri... »
a éclaté le cri
quand après le plaisir
se rompt en égarement chavire le corps
départ de la mort subite
ruée époumonnée dans l’urgence d’étreintes coude à coude de déambulations
précaires houle des épaules nuques en rafale
soirée mal percée sans connivence
chaque espace s’ouvre en grand comme une porte
destination provisoire vite bifurquée à la rature d’un carrefour
à l’escale d’un regard point de convergence avide
affiche fraîche de soutien-gorge
des femmes courent impatientes
dans les marges du sommeil commandées par le seul regard
de celui qui les suit du lit qu’elles viennent de quitter
lumière bleue rotative d’une ambulance
dos à dos les absences qui titubent toboggan de la chaussée
obscurité vibrante et immobile chantiers abandonnés
lumignon glauque cuisses nues coniques
bottées forme angle droit sur le mur
parking vide brasserie sonore
des gens s’embrassent s’offrent de l’alcool des cigares
des femmes aux yeux noirs
la serveuse ventre collé contre une machine à sous
rit fort renverse la tête et dit qu’elle veut bien
seins bas et lourds
taille à peine apparente
trois Africains regardent la télévision dehors sur le trottoir
même douleur sans cesse recommencée à la fuite du jour
dans une ville de neuf heures le soir
molle longue vaste dépouille affalée à la mer
jardins privatifs et villas de repos à heure fixe
(...)
La caissière est aussi l’ouvreuse générique qui tressaute
de vielles femmes griffent des braguettes obèses au rythme des images
elles son laides maintenant elles ne travaillent que dans la nuit
dans les cinémas par-dessus l’épaule de silhouette étrangement raide
masse lourde trébuche sur les strapontins
pressée guidée assise enfin bien calée au fond d’un siège
mains ouvertes épiderme fuyant en surfaces obliques
bouches anonymes poignets fiévreux contribuent
à la jouissance inconnue sur la chair de leur beauté de
leur jeunesse passée dénudée sur l’écran
engoncé raidi dans un manteau de saison
de bouffissures en affaissements recomposent les gestes d’amour
narguent la douceur écrasée étouffée
s’agenouillent muettes ample pan de front alternant
aspire devine la lave inconnue gonflée
mémoire coulée dans la rage en petits luxes
filatures d’orgasmes ombre chinoise arc-boutée
poignarde le passé récent croupi depuis
éperdues se défont les jambes croisées
une main passe sur le visage pour en chasser toutes les ombres
les ongles aigus des grilles de l’église tranquille
sur le banc d’un refuge lumineux profil connu
passager assailli de hasard oscillant
blessure égouttée à chaque pas lentement s’ampute
aux sillages sauvages de chevelures rousses
cinquante francs c’est en voiture tu me touches les seins
je suis travesti le volant moite le rythme obscur
en partance mains gantées lovées attentives
la radio terminée ses émissions l’enfance aveuglante
plus la chambre phares en code
kiosque ébouriffé en revues colorées
les magazines déploient leurs jambes nues sur une double page
un homme fouille fiévreusement en piston dans sa poche
il enlèvera plus tard sa perruque sous le cône lumineux d’un réverbère de
la promenade
enfilade de bouches étirées charnues aux commissures des lèvres
un retrait distance brutal afflux de vide
presque pas peu à peu à peine par hasard
c’est le bilan de chaque minute
il n’y a rien il n’y a rien juste un peu de crainte
atteindre demain sans s’ébrécher encore
et le jour déferlera sur les paupières serrées
dévorées de rêves et de gestes
in, Revue « Exit.N°2, Printemps 1974 »