Dominique Sampiero (1954 -) : Ce bouquet de fougères (1)
@ Étonnants Voyageurs 2024
Ce bouquet de fougères
L’inondation est minutieuse.
Elle a mis son amour en face des arbres et des maisons. Le lit de la rivière, très
loin, attend sa nourriture. Bientôt nous regarderons le soleil et la lune pour
qu’ils persistent dans leur accord avec la barque des mers. Jusqu’à l’entrechat
réglant le cours des étoiles.
Nous saluerons l’unité en forme de virgule et la plus petite voyelle parvenue
tout de même à survivre au dogmatisme des verbes.
La femme providentielle est une longue méditation dont la métamorphose
délivre l’homme de son Cri.
Unique moisson : ce bouquet.
I
L’EAU
est une grande fille luisante remuant ses jambes veloutées lorsque tu entres en
elle
toi qui trembles de l’audace prodigieuse des racines enlaçant l’arbre, puis la
terre
Le songe est un pacte enthousiaste avec soi-même, le royaume blanc où notre
parole, sans ombre, éclaire la bouche sombre des femmes
Les mains nourrissent
Elles consument les reliques du ciel entre les robes du livre
Avec douceur, l’invention des voûtes ennoblit le geste des servantes pour
embaumer la phrase
D’autres oiseaux viennent soumettre leur CRI
L’hymne,
fuseau de notre parole quand l’homme du soleil pleure à la vue de son propre
ciel
Il coupe son visage du reste des éboulis. Les berges s’appuient sur un reflet.
Au bord des fiançailles, le vent et la forêt à l’œuvre parmi nous.
Il faut entendre le chant des bolets.
Les hommes conduisent leur force sur la chaussée. La pierre nous restitue
leurs gestes
Le chemin longe
de ce même mouvement de houle qui épouse la falaise.
La terre avec nous, au revers du chant, immobile.
Le cavalier d’un feuillage nous frôle,
Sa main d’écorce s’allonge pour cueillir les fruits d’un moment de saveur.
Mémoire en battement d’aile
ta voix se déploie dans le silence épais des rives,
là où s’enfoncent les larmes des toitures.
Les doigts de l’ornière montrent la route.
La nuit coule,
ses murs se perdent sous les branches quand l’étincelle interroge la fumée.
Visage bleu hirondelle, la source contre le vent.
L’œil est au couchant. D’une dernière façade, le rêve rassemble les haillons.
Sur cette page, l’horizon fléchit.
Les abords d’un village
- cette marche entre Toi et l’Autre
nous nous retrouvons.
Beauté des eaux, le sourire s’attarde,
décor murmurant sa haie.
Distance entre le jour et lui-même.
Fleuves de ma main.
Ce soir, déposer le ciel sur la page, reprendre le fil de cette conversation
soutenue avec la flamme.
Il suffit d’une seule rose pour déposer l’ombre.
Quelques arbres se rejoignent, deviennent le lac.
Besogne profonde.
En leur centre, la solitude est ferveur.
Je me rappelle, à l’intérieur
cette première leçon de silence
poussière convoitée
cirques transformés en églises
Ville enracinée et chevelure
Soie propice
Une porte de l’autre côté
et tous ces hommes fermés à la lumière...
Je me suis dit qu’il ne fallait rien dire.
Les femmes ont levé les bras.
La fête s’est mise dedans.
Du fond de la salle, on entendit le monde.
La lampe s’endormit.
Le souffle lui rendit son secret.
2.
LE FEU
mouvement de bras
éclatant au bord des sèves
Aucun souffle ne déroule la mort entière, cette ligne inouïe à franchir sous la
cendre
Le poids du corps, l’étrange circuit de sa chaleur.
Ni charbon, ni flamme
rien que le silence rompu d’un peu de terre et de ciel
En nos veines
L’écho ne veut rien dire d’autre
distance franchie
par un regard dénoué
Dans ce désert où tient tout l’horizon,
la nuit nous sert de bâillon
Après ce vent qui marche dans un fauteuil de braise, le rayon s’enlace aux
cailloux du ciel. Notre voix dira sa route pour l’éclair.
Sans bruit,
de quoi souffres-tu ?
Le miroir et son éclat se resserrent autour de la table
Comme si ta gorge revivait ses fugues.
Dans les vapeurs de son portail, le réel est cerclé de rives.
Le présent s’est rapproché du sang de l’étoile.
Lampe ancienne : l’appel
La révolte dormait sur le chemin qui conduit.
C’est là que tu apprivoises.
Toute approche est Souveraine.
La rumeur des amants dure et nous éveille.
Nous aimons les êtres du repli
Chambre où s’enroule l’odeur des pins
mais aussi la lumière, l’eau,
nos yeux d’enfants.
Sur les murs, il n’y a ni serrure, ni clef
seulement la forge. En cet espace couronné, le chant égale la rive.
Il faut vivre, ici, albatros dans l’aubier.
Quatrième aparté
Nous voulions peindre l’envers de notre parole.
Là où le visage est plus simple, plus clair.
C’est difficile.
Aucun miroir pour nous renvoyer la vérité de notre regard
sans inversion de symétrie
Nous regardons derrière le tain. Ce n’est pas notre ovale qui nous fascine mais
le décor de la pièce : les meubles, la ligne de notre épaule, le pan de tapisserie,
la lampe accrochée au plafond. Fixité de l’espace ou de l’écrit ?
Nous ne tombons pas dans l’excès.
L’interdit, en l’occurrence, concerne une règle tacite, muette, immanente au
texte qui s’improvise. Il faut entretenir la sensibilité et la fermeté de nos pas :
ressentir chaque accident, chaque silence, chaque relief. Prévoir les détours
avec confiance. Se perdre. Se retrouver. Avec parcimonie, justesse.
Il faut. Et il ne faut pas.
La parole s’appuyant sur la conviction des révélations qu’elle engendre.
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L’homme suspendu
Fondation David Kupfermann, 1989
Du même auteur :
« On ne peut pas s'empêcher de mourir » (30/10/2014)
« La main, en écrivant… » (12/10/2016)
« Tu dis « je vais à ta rencontre … » (12/10/2017)
« Je range tes lettres... » (12/10/2018)
Lettre à ceux qui ne me liront jamais (26/08/2023)