Dominique Sampiero (1954 -) : Lettre à ceux qui ne me liront jamais
Lettre à ceux qui ne me liront jamais
(1)
Tandis que la lumière
remue de toutes ses forces
derrière la fenêtre
je fouille du bout des mots
le fruit noir des nuages
dans votre tête
Fermez les yeux
J’ai choisi de vous écrire
Que quelqu’un
accepte de vous lire cette lettre
à voix haute
Que quelqu’un
vous serre entre ses bras
avec sa voix
(2)
Je parle aux vivants et aux morts
sur la même ligne
entre ma main et mon front
Du vent fermente
au fond de nos souvenirs
de senteurs gonflées de présences
et de lilas
Vous le savez :
l’enfance se souvient de nous
dans les moindres détails
Laissons-nous faire
par son regard
jusqu’au tremblement
(3)
Ecrire scintille
dans cette poignée de rien
fontanelle offerte
à la tombée des nuages
sous la pluie
étrange bonheur
d’être vivant
(4)
Même si vous ne concevez pas ces images
à peine quelques flocons tombés
sur vos paupières
que le sang de la parole
vienne vous réchauffer
cogner à vos tempes
jusqu’au fond de votre cœur
(5)
J’ai choisi de vous écrire
pour vous tenir compagnie
C’est idiot n’est-ce pas
vous avez faim vous avez froid
tout vous manque
vous marchez droit devant
vers un quelque part
qui n’existe pas
Et je vous offre des oiseaux de papier
Un peu de mourir plié
sur la fenêtre d’un livre
C’est idiot n’est-ce pas
de passer sa vie à çà
oui
Mais j’ai besoin de vos yeux
et de mes mains pour attraper
votre regard
Qu’un peu de je
devienne nous
dans la neige
hurlante du papier
In, Yvon Le Men : « Il fait un temps de poème.80 poètes par temps d’urgence. »
La rumeur libre éditions, 42540 Sainte-Colombe-sur-Gand, 2023
Du même auteur :
« On ne peut pas s'empêcher de mourir » (30/10/2014)
« La main, en écrivant… » (12/10/2016)
« Tu dis « je vais à ta rencontre … » (12/10/2017)
« Je range tes lettres... » (12/10/2018)
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