Jean Amrouche (1906 – 1962) : Ebauche d’un chant de guerre
Ebauche d’un chant de guerre
Ah ! pour un seul mot de ma langue
Pour la seule grâce d’un mot
De schiste et d’argile
(Le vent le porte tel l’oiseau des rêves)
Pour cette flèche empennée de foudre
Pour l’éclair de la Liberté
Pour un mot orphelin
Cueilli aux lèvres sèches de l’Ancêtre
Goutte de sang sur rose de l’enfance
Etincelant dans la roue du soleil
Pour ce mot de musique âpre
Et de timbre sauvage
Cri orphelin des entrailles immémoriales
Pour cette parole sombre et fixe comme
Un regard de veuve berçant son enfant
Assassiné
Pour ce mot de tendresse ovale
Forme d’exil qui rompt l’exil
Pour cette goutte de lait bleu
Pour l’ombre sur l’œil sans paupière
Et l’eau de Zem-Zem aux lèvres mortes
Du pèlerin nu au désert
Pour ce mot rond pour le zéro
Sceau sacré transmis d’âge en âge
De deuil en deuil
De tombe en herbe
Pour un mot à la mer
Pour l’horizon cette fleur de sel
Pour le sourire du passé
Pour ce surgeon de l’arbre sec
Pour une braise sous la cendre
Pour cet enfant de l’avenir
Pour le navire du retour
Pour le repos d’une nuit
Et pour cette escale d’un jour
Pour cette main sur la fièvre
Et pour l’ombre sous la palme
Pour ce salut sans équivoque
Et pour ce signe d’or pur
Pour le baptême d’un instant
Et ces fiançailles des frères
Pour la présence au temps des morts
D’une parole souveraine
Pour ce rien sans feu ni lieu
Pour cet élixir de l’absence
Où ce ni cendre chair ni sang
Brume de l’aube ou du serein
Sous-bois ni mirage au désert
Chant de flûte ou parole de vent
Essaim de songes ni d’abeilles
Ne se mêlent au pur néant
Pour la neige à peine entrevue
Entre deux gifles de la nuit
Pour cet appel dont on ne sait où
Pour ce soupir du cœur profond
Pour une rose de ténèbres
Au fond de l’âme
Pour la jeunesse brandie
Et le printemps irrésistible
Pour l’agneau blanc
Pour l’agneau noir
Pour l’angle pur de ce regard
Et ce col promis au couteau
Pour un seul jour
Au dernier soir
Gloire et grâce
Amin Amane
Connaissance
Aube de sang aube d’azur
Au libre jour
Un mot d’eau vive
Dans la main
Le cœur du monde...
Etoile secrète
In, Jacqueline Lévi-Valensi et Jamel Eddine Bencheikh : « Diwan algérien »
Centre pédagogique maghrébin,Alger 1967
Du même auteur : Le combat algérien (23/07/2023)