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Le bar à poèmes
23 juillet 2024

Jean Amrouche (1906 – 1962) : Ebauche d’un chant de guerre

 

Ebauche d’un chant de guerre

 

Ah ! pour un seul mot de ma langue

Pour la seule grâce d’un mot

De schiste et d’argile

 

(Le vent le porte tel l’oiseau des rêves)

Pour cette flèche empennée de foudre

Pour l’éclair de la Liberté

 

Pour un mot orphelin

Cueilli aux lèvres sèches de l’Ancêtre

Goutte de sang sur rose de l’enfance

Etincelant dans la roue du soleil

 

Pour ce mot de musique âpre

Et de timbre sauvage

Cri orphelin des entrailles immémoriales

 

Pour cette parole sombre et fixe comme

Un regard de veuve berçant son enfant

Assassiné

Pour ce mot de tendresse ovale

Forme d’exil qui rompt l’exil

 

Pour cette goutte de lait bleu

Pour l’ombre sur l’œil sans paupière

Et l’eau de Zem-Zem aux lèvres mortes

Du pèlerin nu au désert

 

Pour ce mot rond pour le zéro

Sceau sacré transmis d’âge en âge

De deuil en deuil

De tombe en herbe

 

Pour un mot à la mer

Pour l’horizon cette fleur de sel

Pour le sourire du passé

Pour ce surgeon de l’arbre sec

Pour une braise sous la cendre

 

Pour cet enfant de l’avenir

Pour le navire du retour

Pour le repos d’une nuit

Et pour cette escale d’un jour

Pour cette main sur la fièvre

Et pour l’ombre sous la palme

 

Pour ce salut sans équivoque

Et pour ce signe d’or pur

 

Pour le baptême d’un instant

Et ces fiançailles des frères

Pour la présence au temps des morts

D’une parole souveraine

 

Pour ce rien sans feu ni lieu

Pour cet élixir de l’absence

Où ce ni cendre chair ni sang

Brume de l’aube ou du serein

Sous-bois ni mirage au désert

Chant de flûte ou parole de vent

Essaim de songes ni d’abeilles

Ne se mêlent au pur néant

 

Pour la neige à peine entrevue

Entre deux gifles de la nuit

 

Pour cet appel dont on ne sait où

Pour ce soupir du cœur profond

 

Pour une rose de ténèbres

Au fond de l’âme

 

Pour la jeunesse brandie

Et le printemps irrésistible

 

Pour l’agneau blanc

Pour l’agneau noir

Pour l’angle pur de ce regard

Et ce col promis au couteau

Pour un seul jour

Au dernier soir

Gloire et grâce

Amin Amane

Connaissance

Aube de sang aube d’azur

Au libre jour

 

Un mot d’eau vive

Dans la main

Le cœur du monde...

 

Etoile secrète

In, Jacqueline Lévi-Valensi et Jamel Eddine Bencheikh : « Diwan algérien »

Centre pédagogique maghrébin,Alger  1967

Du même auteur : Le combat algérien (23/07/2023)

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