Dragutin Tadijanović (1905 – 2007) : « Je voudrais casser les cordes... »
I
Je voudrais casser les cordes de ma harpe d’or,
Retourner dans mon pays, dans mon village
A Rastouchié.
Jeter les livres poussiéreux
Et la jouissance des flâneries sans but.
Oter le masque de mon visage
Et dédaigner, comme Dieu même, le sens des phrases.
II
Je vais m’en retourner, oui-da à la maison ;
A la à la maison le feu couve encore sous la cendre,
Que mes aïeux ont allumé
Dans les temps lointains.
Je marcherai dans mes sabots,
Comme ils marchaient,
Je porterai les chemises de lin,
Que ma femme aura tissées.
Avec mes mains salies de terre noire
J’essuierai la sueur de mon front,
Gouttes sur la terre.
L’été l’après-dîner, quand je donnerai à boire aux chevaux,
Je m’assiérai sur le seuil avec ma femme :
Les enfants seront déjà partis dormir.
Dans l’étable, de satiété mugiront la vache et le veau.
III
Ô peut-être à Rastouchié m’attendent le bonheur et le repos.
Je voudrais casser les cordes de ma harpe d’or.
Et quand je mourrai, que les paysans portent
Mon corps dans un cercueil noir au-dessus du seuil paternel.
Traduit du croate par Janine Matillon
Revue « Esprit », mars 1962