André Roy (1944 -) : Tout ce que nous quittons à jamais
Tout ce que nous quittons à jamais
I
Le paysage qui pèse de plus en plus,
c’est par en avant, là où se terre
la nuit dans sa porosité, quand les
yeux n’en finissent plus de ne rien
remarquer : la place des corps dans
l’espace qui se débat, le peu de ciel
qui nous reste au beau milieu du réel.
Les mêmes rêves ratés, aussi bien à
Varsovie qu’à Prague blancs dans
la honte de la craie autour du cœur.
II
Hors des ventres pour ne rencontrer que
le chaos, dans le réveil mortel de la mer
où nous sommes projetés, l’espace fait
encore quelques sursauts mais pour qui ?
On ne revient jamais d’où l’on vient.
Couleurs dehors, dedans, le vide plein
qui se faufile jusqu’à notre squelette avec
la précision de la nuit. Croire encore
qu’aujourd’hui ne sera plus seul.
III
L’éternité en arrière comme dans le
dernier regard de ceux et celles de
la Kolyma : le ciel plus bas encore,
dans le bleu ramassé en nous, bleu
vrai et vain que n’en finissent plus
de remarquer les cœurs ici et là,
apeurés. Nous nous regardons parce
que nous ne voyons rien, là, face
à l’autre continent que nous
ne cessons jamais de quitter.
C’est encore le solitaire qui parle
Revue « les herbes rouges, N°144 »
Montréal, 1986