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Le bar à poèmes
28 mai 2023

André Roy (1944 -) : Tout ce que nous quittons à jamais

roy_an

 

Tout ce que nous quittons à jamais

 

I

Le paysage qui pèse de plus en plus,

c’est par en avant, là où se terre

la nuit dans sa porosité, quand les

yeux n’en finissent plus de ne rien

remarquer : la place des corps dans

l’espace qui se débat, le peu de ciel

qui nous reste au beau milieu du réel.

Les mêmes rêves ratés, aussi bien à

Varsovie qu’à Prague blancs dans

la honte de la craie autour du cœur.

 

II

Hors des ventres pour ne rencontrer que

le chaos, dans le réveil mortel de la mer

où nous sommes projetés, l’espace fait

encore quelques sursauts mais pour qui ?

On ne revient jamais d’où l’on vient.

Couleurs dehors, dedans, le vide plein

qui se faufile jusqu’à notre squelette avec

la précision de la nuit. Croire encore

qu’aujourd’hui ne sera plus seul.

 

III

L’éternité en arrière comme dans le

dernier regard de ceux et celles de

la Kolyma : le ciel plus bas encore,

dans le bleu ramassé en nous, bleu

vrai et vain que n’en finissent plus

de remarquer les cœurs ici et là,

apeurés. Nous nous regardons parce

que nous ne voyons rien, là, face

à l’autre continent que nous

ne cessons jamais de quitter.

 

C’est encore le solitaire qui parle

Revue « les herbes rouges, N°144 »

Montréal, 1986

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