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Le bar à poèmes
9 mars 2023

Serge Pey (1950 -) : Tchernobyl

 

Serge-Pey[1]

 

Tchernobyl

 

Poème oral pour l’homme et l’oiseau de la première alerte *

 

A la confrérie des canards sauvages

Au VOL qui à l’envers se lit LOU

A l’OISEAU qui contient toutes les voyelles avec celle du serpent

 

 

Que tout ciel est une tache d’oiseau sur le vide

 

 

Que tout vol est un ciel privé du cercle défait de l’oiseau et du vide

 

 

Que le vol est l’oreille du ciel sur l’oiseau et le vide

 

 

Que le vol est le miroir du nœud qui nous attache au centre du vide

 

 

Que le vide est un plein privé de l’oiseau qui vole sur sa mort

 

 

Que le vide est le bol qui boit son bord de vide

 

 

Que le vide est un vivre de la mort dont la naissance s’est perdue dans la 

 

vraie mort

 

 

Que le vide du vol remplit le vol d’un cercle qui mesure le marcheur séparé 

 

du chemin

 

 

Que les angles du vol sont une réponse qui invente la bouche de la question 

 

qui sait les chemins

 

 

Que la forme du vol trace l’oiseau et l’homme dans le vide

 

 

Que le vol du vide donne le visage de l’absence à l’œil inutile de la mort

 

 

Que le vol du vide fait voler un infini aux ailes de zéro dans un miroir sans

 

images

 

 

Que tout vol sépare l’absence immortelle en deux oreilles qui se renvoient la

 

soustraction des zéros

 

 

Que nous plantons le vol dans le fusil et le vieux bouclier des zéros

 

 

Que le vol du vide boit dans une lampe l’oiseau et l’homme réunis par un 

 

secret

 

 

Que le vol du vide sépare le ciel entre l’homme et l’oiseau en inventant un 

 

peigne d’étoiles

 

 

Que le ciel prend la main d’un oiseau et l’aile d’un homme et creuse un 

 

cartilage au centre du sommeil

 

 

Que le vide fait des trous dans l’oiseau comme une loupe de silence qui 

 

ouvre une bouche dans le cœur

 

 

Que le ciel se transforme en oiseau pour dérouler le soleil comme un intestin 

 

et souffler dans ses os creux

 

 

Que nous roulons des zéros comme des roues pour dresser une barricade dans

 

le vide

 

 

Que le zéro est un autre cercle de la bouche et du O qui dessine les yeux et les

 

puits

 

 

Que le souvenir qui vient devant nous remplit le présent contre un souvenir 

 

qui vient dans nos épaules

 

 

Que les deux souvenirs font le présent qui nous vole

 

 

Que nous montons vers la nuit car nous sommes le centre sans bord fermé de

 

l’oiseau et du monde

 

 

Qu’ensemble nous sommes les oiseaux qui volent la mort à la définition de 

 

Dieu

 

 

Que nous sommes des oiseaux exilés dans un feu qui se nourrit de la cendre

 

des hommes qui ont déjà volé dans les oiseaux

 

 

Que nous dressons des pièges pour le ciel en pliant les trous que nous faisons

 

en voyant avec nos ailes

 

 

Que nous avons laissé le feu devant nous sur la photo d’un oiseau qui n’existe

 

plus dans sa cage d’enfant et de feu

 

 

Que nous sommes des photos de cet oiseau que nous semons dans le chaos 

 

d’une seule fenêtre infinie

 

 

Que nous appelons les hommes qui changent d’éternité sur leur signature de 

 

sang et d’oiseau

 

 

Que nous allons en migration de consonnes vers l’espérance d’une voyelle

 

dansle ciel

 

 

Que nous volons en en prononçant cette voyelle car le trou du O rend la 

 

bouche à la somme des paroles qui le contient

 

 

 

Que pour parler nous prononçons le seul nom qui contient les voyelles que 

 

nous disons à voix haute dans la mer

 

 

Que l’oiseau contient toutes les voyelles qui fondent le dieu absent de la 

 

lampe 

 

 

Que nous buvons dans cette lampe

 

 

Que si l’oiseau s’en va nous briserons la boussole qui change de sexe et coud

 

des vagins sur nos souliers

 

 

Que sans les cris de l’oiseau les alphabets ne se prononceront plus dans leurs

 

lettres

 

 

Que nous immobilisons le vol dans la pierre de la négation impossible

 

 

Que nous clouons le vol dans la porte qui ouvre la porte comme un oiseau de

 

serrure et de sel

 

 

Que nous voyons le vol qui corrige l’air

 

 

Que les hommes qui volent dans le ciel se tatouent un oiseau entre les épaules

 

d’un seul coup de couteau

 

 

Que nous entendons les oiseaux qui marchent sur la terre se chausser d’un 

 

seul homme dans les pieds et le sentiers

 

 

Qu’il n’y a pas d’anges parmi les pilleurs de miroirs qui incommencent le ciel

 

à chaque silence

 

 

Qu’il n’y a pas d’hommes dans le dieu qui sépare la porte de l’oiseau de la 

 

maison du ciel

 

 

Que l’homme a un oiseau qui dort sur sa bouche et qui s’unit à l’oiseau 

 

endormi dans la femme du feu

 

 

Que nous cachons la femme qui est dans l’oiseau et l’oiseau qui est dans 

 

l’homme comme le feu dans le feu et la bouche sur le baiser

 

 

Que nous regardons dans le ciel le vol invisible qui recouvre la femme et 

 

l’homme visibles des deux oiseaux

 

 

Que nous comptons les consonnes dans le ciel comme les angles noirs d’un 

 

infini qui devine

 

 

Que nous suivons le vol qu’on ne voit pas et qui nous fait un squelette de 

 

plume dans le cerveau

 

 

Qu’il est un vol qui dure deux ailes sur le corps d’un oiseau

 

 

Qu’il est un vol qui plante une seule aile dans le cœur d’un oiseau

 

 

Qu’il est un oiseau qui habite une absence d’aile sur le temps

 

 

Qu’il est un vol qui trace son propre poids et le soutient dans le nuage qui 

 

nous manque

 

 

Que chaque vol crée un ciel dans l’oiseau inexisté qui vole en soulevant nos

 

maisons

 

 

Que chaque ciel crée un oiseau dans le vol qui nous pense une seule fois 

 

contre lui

 

 

Que chaque nid crée un arbre dans l’oiseau qui couve une forêt de lumière

 

 

Que nous volons pour rencontrer le vol des enfants morts avec des arcs 

 

tendus sur les fenêtres

 

 

Que nous volons pour saisir dans le commencement des nuages les oiseaux 

 

qui nous empêchent de tomber

 

 

Que tout vol soutient les ciel du milieu et éloigne les cieux de l’extrémité où

 

quelque chose fabrique des cercles pour retrouver sa face

 

 

Que l’homme est un pêcheur de vol qui veut saisir l’oiseau qu’on ne voit plus

 

dans sa cage de plume et d’air

 

 

Que l’oiseau mange l’homme mort pour habiller de temps une mère inconnue

 

dans le ciel

 

 

Que l’homme mange l’oiseau vivant pour laver un père inconnu dans le feu

 

 

Que chaque homme enterre l’ombre d’un oiseau pour faire voler le vol qu’on

 

ne voit pas quand il compte le Nombre absolu de l’air

 

 

Que chaque oiseau invite un homme à mourir pour qu’il voie ce vol dans le

 

plus petit des passages

 

 

Qu’une parole perdue seule écoute la bouche d’oubli dans la main double des

 

hommes

 

 

Que si nous volons sur le dos nous perdons la terre et nous voyons le ciel qui

 

sépare chaque homme en deux oiseaux

 

 

Que l’homme et l’oiseau se rejoignent en pleurant dans l’infini comme deux

 

parallèles de sexe

 

 

Que le ciel envahit l’oiseau de chiffre que nous avons sous les ongles et le fait

 

nombre en sa chair

 

 

Que toute chose qui vole est la citation défaite de l’unité qui s’étire entre 

 

l’invisible et les yeux crevés de ceux qui ont vu le visible

 

 

Que dans le ciel tout oiseau commence le ciel et fait des ailes contre lui dans

 

les cercles et les sommeils

 

 

Que nous avons laissé le vent derrière nous en plantant autour de lui les 

 

plumes d’un oiseau suspendu dans l’orage

 

 

Que nous avons enterré la lumière à côté de la croix d’une étoile de mort

 

 

Que nous volons autour des feux éteints où nous avons mélangé nos pattes et

 

nos pieds comme une écriture sur la cendre

 

 

Que nous perdons tous nos corps dans le triangle des vols qui séparent les

 

marges de l’éternité

 

 

Que les oiseaux morts volent comme des ombres et accrochent des anus à la

 

métaphysique du ciel

 

 

Que le vol tremble à l’intérieur de nous comme un battement de symétrie et

 

d’amour

 

 

Que tout oiseau libère l’homme de l’espérance qui est l’ultime prison qui

 

enferme la suite infinie des prisons

 

 

Que l’avenir est une forme du souvenir qui tombe des yeux comme un oiseau

 

de larmes

 

 

Que maintenant nous volons vers le vol immobile qui nous pense dans l’autre

 

vol qui enferme l’oiseau

 

 

Que nous voyons l’oiseau qui unit les roues et fait tourner un moyeu de 

 

l’autre côté du ciel comme un chariot de cent mille âges

 

 

Que l’air est un frôlement qui dessine la pointe de l’air

 

 

Que l’air est un geste perdu dans un œil du milieu qui dresse un escalier 

 

contre une fenêtre ouverte

 

 

Que nous volons vers les oiseaux fermés en serrant un seul oiseau ouvert qui

 

maintient la pierre dans la pierre et le ciel dans le ciel

 

 

Qu’il est un oiseau en équilibre qui vole dans l’homme immobile du contre-

 

jour

 

 

Qu’il est un oiseau qui tombe en lui-même d’oiseau en oiseau jusqu’à

 

l’oiseau intraduisible qui ne le répète pas

 

 

Que toute parole porte le nom du vol qui fait voler l’oiseau dans l’homme du

 

sommeil et du rêve

 

 

Que tout oiseau en fondant dans notre cœur reste dans l’air comme une chute

 

qui tient en réserve le ciel

 

 

Que nous marchons vers la feuille qui a soutenu le premier arbre de la terre

 

 

Que nous allons vers l’œuf qui appelle l’oiseau qui couve l’étoile de l’oiseau

 

 

Que nous allons vers le contre-oiseau qui dessine la limite des formes de 

 

l’œuf dans la forêt de l’étoile

 

 

Que nous savons que tout vol assoiffe le sommeil de l’homme et le garde 

 

dans sa réserve de dieu

 

 

Qu’à chaque mort un oiseau revient de l’absence en nous mettant debout dans

 

son éternité

 

 

Qu’à chaque vivant un oiseau appuie un levier sur la vitre du centre qui le 

 

touche

 

 

Qu’un oiseau mouille nos doigts d’un peu de nuit pour boire le jour qui bout 

 

dans le sommeil d’un mort

 

 

Que nous volons en déshabillant le ciel avec l’oiseau qui coud les trous dans 

 

les passages où nous voyons sa fuite

 

 

Que nous allons vers où jamais nous ne sommes revenus

 

 

* Tchernobyl était une réserve naturelle d’oiseaux migrateurs. Dans les marais de cette 

région vivent des centaines de milliers de canards sauvages. Après la catastrophe nucléaire

la zone a été déclarée interdite à la chasse. Ces oiseaux radioactifs et victimes de

mutations génétiques se sont multipliés d’une façon inquiétante et continuent leurs

migrations périodiques vers l’Afrique et le Sud de l’Europe où ils sont chassés et

consommés malgré le danger qu’ils représentent. Ce poème écrit sur un bâton représente 

le texte d’une performance orale présentée dans de nombreusescapitales du Monde 

comme à Tokyo pour la mémoire des victimes d’Hiroshima. Ce texte est dit

simultanément avec l’alphabet morse et le langage militaire international dans lequel fut 

annoncé la catastrophe.

 

 

In, Arlette Albert-Birot : « Serge Pey »

 

Jeanmichelplace/poésie, 2006

Du même auteur : Amarade (09/03/2024)

 

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