Chrétien de Troyes (vers 1135 – vers 1190) : « Toujours draps de soie tisserons... »
La complainte des tisseuses de soie
Toujours draps de soie tisserons
Jamais n’en serons mieux vêtues,
Toujours serons pauvres et nues,
Et toujours faim et soif aurons ;
Jamais tant ne saurons gagner
Que mieux en ayons à manger.
A grand-peine avons-nous du pain,
Peu au matin et au soir moins.
Jamais de l’oeuvre de nos mains
N’aurons chacune pour son vivre
Que quatre deniers de la livre,
Et de cela ne pouvons pas
Avoir assez viande et draps.
Car, qui gagne dans la semaine
Vingt sous, il n’est pas hors de peine.
Et bien sachez-le donc vous tous
Qu’il n’y a nulle d’entre nous
Qui ne gagne vingt sous au plus.
De cela, serait riche un duc !
Nous sommes en grand pauvreté ;
S’enrichit de notre métier
Celui pour qui nous travaillons.
Des nuits, grand partie nous veillons,
Et tout le jour, pour peu gagner.
On nous menace de frapper
Nos membres, quand nous reposons,
C’est pourquoi reposer n’osons.
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(Le Chevalier au lion)
Traduit de l’ancien français par Jacques Charpentreau
in, « Trésor de la poésie française. T.1 »
Hachette jeunesse, 1993