Anise Koltz (1928 - 2023) : Un monde de pierres (II)
Photo ;: Wolfgang Osterheld (1988) Collection CNl
Un monde de pierres (II)
La matière grise
installée dans ma tête
se bloque
Pourquoi ne puis-je aller
au-delà de mes pensées
Comment forcer un démarrage
une accélération
de mon cerveau ?
Car la nuit reste daltonienne
le monde reste sans réponse
Le temps triche
avec la réalité
Chaque clarté
finit par s’obscurcir
Les visages vieillissent
et se perdent dans le miroir
- - - -
Mon passé est la réponse
à la question du futur
- - - -
Tout est signe
Il n’appartient qu’à ceux
qui savent le déchiffrer
Tous les jours
je réinvente
la réalité factice du monde
Parmi ses apparences
une marée noire de mots
inonde ma page
où le poème se balance
entre songe et réalité
Non je ne porterai pas
la croix du Christ
Je porterai le drapeau
de la liberté
Je saluerai Eve
désobéissante
Nous donnant la liberté
l’amour des contraires
J’éviterai ce monde
qui écrit son histoire
avec le sang des hommes
Dans mes poèmes
je retrace
ma géographie intérieure
Mes pensées
alourdissent ma parole
Je perds les questions
à travers mes réponses
Une marée noire de mots
inonde ma page
- - - -
Qui suis-je ?
qui me dirige ?
Ma vie est opaque
comme le brouillard
qui m’entoure
Souvent la joie
est une tristesse déguisée
L’univers est un miroir
Il reflète les mêmes lumières
que nous portons en nous
- - - -
Je trébuche sur l’avenir
Marchant
sans jamais arriver
Chaque être devient prisonnier
de l’autre
La nuit
j’entends les morts
traverser ma chambre
Venus d’un passé lointain
ils ont oublié la parole
Recouvert de plumes
tachetées de sang
ils arrivent
Devenus frères des vautours
ils me réveillent
par le claquement de leurs ailes
La mémoire
a construit le temps
Le monde est fait
d’après les images
que nous lui attribuons
Chaque parole
parlée ou écrite
contient notre mortalité
- - - -
Aucune de nos complaintes
ne sera entendue
Dieu est sourd-muet
apprenez-lui
le langage gestuel
le temps
ne cesse de se réinventer
Retombant chaque jour
dans son moule initial
- - - -
Chaque matin
après lui avoir brossé les ailes
Je range mon ange gardien
dans le placard
Dans ton sang
nagent les continents
L’alphabet saltimbanque
marche
sur les lignes tendues
de ta page
Avance dans tes poèmes
« danse avec les loups »
- - - -
Je suis présente
et absente à la fois
Marchant sans but
d’un horizon à l’autre
Les lettres de l’alphabet
me poursuivent
Mes poèmes sont des pierres
du mur de lamentation
Combien de fois
ai-je tourné
autour du soleil
Même en dormant
je continue
à accompagner la terre
blottie sous mes couvertures
comme un animal
qui hiverne
Toute ma vie
n’a été qu’un dialogue
avec la mort
Une nouvelle saison s’annonce
Dans les arbres la sève descend
dans tout ce qui vit
et respire
le battement de mon cœur rebelle
Où est le sens dissimulé
de ce théâtre saisonnier
où le souffle s’accorde
aux brumes matinales
Dans le tournoiement fou
de l’univers
j’éteins le jour
comme une bougie
Un monde de pierres
Editions Arfuyen, 2015
De la même autrice :
Un monde de pierres (I) (08/11/2021)
Galaxies intérieures (I) (08/11/2022)
Galaxies intérieures (II) (07/05/2023)
Soleils chauves (08/11/2023)
Je renaîtrai (1) (07/05/2024)
Je renaîtrai (2) (08//11/2024)