Jayadeva / जयदेव (vers 1170- vers 1245) : « Si tu parles... »
L'idole de Jayadeva à Kendubilwa, Odisha (Inde)
Si tu parles, - oh, si peu ! – le clair de lune de tes dents éclatantes emporte
au loin l’horreur des ténèbres redoutables. Pour le nectar de tes lèvres
frémissantes, ta face, telle la lune, amorce mes regards tels des perdrix.
Mon amie, tendres sont tes pratiques – quitte envers moi cet orgueil sans
raison ; soudain le feu d’amour me brûle le coeur ; donne à boire le vin du
lotus de ta face.
Mais de vrai, tu es en colère après moi, ô belles dents ! Frappe alors avec
les flèches de tes ongles rudes ; jette-moi dans les chaînes de tes bras ; déchire-
moi de tes dents, afin que naisse le plaisir !
Mon amie, donne à boire le vin du lotus de ta face !
Il a la couleur du lotus bleu, ô fine taille, ton regard, et pourtant, il a la
figure d’un lis rouge. Si c’est pour en faire une flèche de l’Archer Fleuri
que tu le teins en bleu, alors à merveille !
Mon amie, donne à boire le vin du lotus de ta face !
Que ton bouquet de gemmes scintille, entre les bosses de tes seins ; que le
pays de ton cœur en soit coloré ; que ton écharpe claque sur l’ample rondeur de
tes hanches ; qu’elle proclame les injonctions de l’amour !
Mon amie, donne à boire le vin du lotus de ta face !
Le couple de tes pieds se moque du lotus des parterres ; il embrase mon
cœur dans les ébats d’amour, il fait éclore en moi une passion extrême : oh,
dis-moi de ta voix modulée de les rougir avec amour d’une laque miroitante !
Mon amie, donne à boire le vin du lotus de ta face !
Pour guérir du poison d’amour, fixe sur ma tête en parure les pousses
charmantes de tes pieds ; il me brûle et me dévore, l’impitoyable feu de
l’abattement. Puissent-elles anéantir les transports qu’il a déchaînés !
Mon amie, donne à boire le vin du lotus de ta face !
Traduit du sanskrit par Gaston Courtillier,
In, Jayadeva : « La Gîtagovinda »
Ernest Leroux, éditeur, 1904
Du même auteur : « Lui, réveille ses eaux profondes... » (12/02/2021)