Jean-Joseph Rabéarivelo (1901 – 1937) : Flûtistes
Flûtistes
Ta flûte,
tu l’as taillée dans un tibia de taureau puissant,
et tu l’as polie sur les collines arides
flagellées de soleil ;
sa flûte,
il l’a taillée dans un roseau tremblotant de brise,
et il l’a perforée au bord d’une eau courante
ivre de songes lunaires.
Vous en jouez ensemble au fond du soir,
comme pour retenir la pirogue sphérique
qui chavire aux rives du ciel ;
comme pour la délivrer
de son sort ;
mais vos plaintives incantations
sont-elles entendues des dieux du vent,
et de la terre, et de la forêt,
et du sable ?
Ta flûte
tire un accent où se perçoit la marche d’un taureau furieux
qui court vers le désert
et en revient en courant,
brûlé de soif et de faim,
mais abattu par la fatigue
au pied d’un arbre sans ombre,
ni fruit, ni feuilles.
Sa flûte
est comme un roseau qui se plie
sous le poids d’un oiseau de passage –
non d’un oiseau pris par un enfant
et dont les plumes se dressent,
mais d’un oiseau séparé des siens
qui regarde sa propre ombre, pour se consoler,
sur l’eau courante.
Ta flûte
et la sienne –
elles regrettent leurs origines
dans les chants de vos peines.
Presques songes (Traduit du hova par l’auteur)
Chez Henri Vidalie, Tananarive (Madagascar), 1934
Du même auteur :
Traduit de la nuit (08/10/2019)
Danses (08/10/2020)