André Du Bouchet (1924 – 2001) : Sol de la montagne
Sol de la montagne
SOL DE LA MONTAGNE
Le courant force
se risquer dans le jour
comme dans l’eau
froide et blanche
dure
pour le motocycliste
comme un couteau déplacé par le souffle
les montagnes sortent à peine de terre
quand la route casse
je change de pied
elle est couverte de neige
LE FEU ET LA LUEUR
Cette profondeur,
cette surface dont un champ
compose l’aile.
Le jour, papillon glacé.
J’ai suivi le jour, je l’ai traversé, comme on traverse les
terres
Matière froide
éparse
matinée froide
éparse
tout s’est refait
déchiré
ce qui est aujourd’hui
d’un autre registre
sous ces froides tentures
sur le plateau des terres.
Au début de la poitrine froide et blanche où ma phrase
se place,
au-dessus du mur, dans la lumière sauvage.
A la fois le vent et le corps de la pierre, bec par où la
terre se dessine, ou plutôt disparaît.
Dans l’immense feu blanc qui me sert de chambre,
l’air manque, l’air demeure aride.
Paroi d’air
au-dessous de la terre soulevée
hors des atteintes de l’air
tout est détruit
comme un peu d’air
dans une main ouverte
montagne
presque rien
montagne
dont nous suivons la montée
vert-de-grisée.
METEORE
L’absence qui me tient lieu de souffle recommence à
tomber sur les papiers comme de la neige. La nuit
apparaît. J’écris aussi loin que possible de moi.
RELIEF
Aujourd’hui la lampe parle
elle a pris une couleur
violente
tout éclate et rayonne
et sert
jusqu’aux miettes
la soucoupe blanche
que je vois sur la table
que l’air modèle
la vérité morte
froide
vivante maintenant
et sans arrêt
à voix haute.
La neige de notre respiration
fond
vivant.
au ralenti
comme un table
dans la lumière sauvage de l’écorce.
nature vivante
déjà hier
sur un rayon
avec des vêtements secs
Sûr de refleurir
rien ne dérangera
l’ombre
de ma chambre
avec des seaux de froid
en haut
d’une montagne d’air
qui ressemble à un seau
elle tremble
comme une lampe
j’éclaire
je vois
des lettres
sur cette table
sauvage.
ACCIDENTS
J’ai erré autour de cette lueur.
Je me suis
déchiré, une nouvelle fois, de l’autre côté de ce mur,
comme l’air que tu vois,
à cette lueur froide.
De l’autre côté du mur, je vois le même air aveuglant.
Dans le lointain sans rupture,
comme l’étendue même de la terre entrecoupée que,
plus loin, je foule, nul ne sent la chaleur.
Nous serons lavés de notre visage, comme l’air qui
couronne le mur.
LE MUR SUIVANT
A l’extrémité du jour,
du souffle, où la terre débute,
cette extrémité qui souffle. J’atteins le sol au fond de ce
souffle,
le sol grandissant. L’air est
plus froid que la route.
Le plafond se résout, plus il s’éloigne du sol piétiné, en
une vapeur que déchire la tête froide du vent.
L’air sans chaleur ne croule pas.
L’AIR SOUDAIN
Au pied de ce mur que l’ombre défait, l’ombre
attend,
de ce ciel.
Cette blancheur furieuse, la nuit,
le souffle
qui me sépare de mon lit.
L’horizon diffus,
à la coupure du souffle. J’avance dans
le jour retentissant.
La maison s’anime. L’air se fend.
FRACTION
Le lointain est moins distant que le sol, le lit mordant
de l’air,
où tu t’arrêtes, comme une herse, sur la terre
rougeoyante.
Je reste au-dessus de l’herbe, dans l’air aveuglant.
Le sol fait sans cesse irruption vers nous,
sans que je m’éloigne
du jour.
Rien,
aujourd’hui, n’est foulé. Je ne subsiste pas
dans l’air nu.
Sur cette route qui grandit.
Dans la chaleur vacante,
Editions du Mercure de France, 1959
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