Maurice Henry (1907 – 1984) : Ce que tu voudras
Ce que tu voudras.
Ce que tu voudras. Elle a, la nuit, des culottes de ciseaux et dans la bouche,
entre les dents et la langue, le gant des grands oiseaux qui s’obstinent à vouloir
mourir. Je ferai ce que tu voudras. La tête au front lisse, avec cette insaisissable
étoffe, est-ce velours ou soie, et de quelle couleur, dans laquelle s’enfonce les
doigts, contre laquelle crissent les ongles – l’horizon se déchire - et que depuis
l’enfance elle caresse sur l’oreiller de roche spongieuse, parce qu’une fois les
yeux fermés elle fait l’amour, le rideau retombe. Je te donnerai ce que tu
voudras. A portée de sa main, le vent, il ternit les dents par bouffées comme
sur le nickel l’haleine, et sa chevelure secoue ses feuilles et ses fleurs sur la
petite place déserte, à l’heure où tout le monde dîne, et où les enfants jettent
leurs dernières billes dans la rainure du caniveau. L’aquarium tant que tu
voudras. Sur son lit blanc, la neige devient plus brillante, les fenêtres battent,
une longue clameur sourd des crevasses où les nuages attardés s’accrochent
aux porte-manteaux, les miroirs de l’antichambre se brisent parce qu’on allume
soudain l’électricité, son départ chaque fois fait fondre les immeubles et le
niveau de la Seine monte un peu plus vite ; puis la course échevelée tremblante,
on ne voit plus rien que les traces de lèvres sur les journaux perdus au bord des
trottoirs.
In, revue « Le surréalisme au service de la révolution, N° 5, 1931 »
Librairie José Corti, 1933
Du même auteur :
« Il n'y a plus rien ici-bas… » (02/07/2014)
Tu passes (19/08/2015)