Jean Cocteau (1889 – 1963) : Taches
Taches
Si la Joconde a des moustaches
Et si Vénus n’a plus de bras
Rien n’empêche que sur les draps
Eros ne signe avec des taches.
*
Quelque fuite de lézard
Simule un réveil du temple
D’où la déesse contemple
Les miracles du hasard
*
Une dame de l’été
Sur la feuille que je plie
Accroche sa panoplie
Au mur de l’éternité
*
Jamais nul n’expliquera
Où se cachaient ces deux rats
Avant qu’ils ne m’apparussent
Au-dessus d’un danseur russe
*
Pour que son chien ne la morde
Elle sautait à la corde
C’est ainsi qu’elle avait l’air
D’être suspendue en l’air
*
Ni maigres ni grasses
Ce sont les trois Grâces
Hermès qui passaient par là
Les vola et s’envola
*
Elle est longue longue longue
De velours et de satin
Ecarlates sont ses ongles
Et elle tire la langue
Aux vipères du destin
Peut-être une mandragore
La progéniture du
Membre d’un jeune pendu
Que le chanvre revigore
*
Dans une tribune d’ombre elle
N’ouvre même pas son ombrelle
Tandis que fiers de porter leurs
Cavaliers de couleurs
Les pur-sang battent des ailes
Sous ce diabolique attirail
D’une infante et d’une Ménine
Le serpent venimeux d’un rail
Rampe vers Anna Karénine
*
Est-elle bonne ou méchante
Est-ce une femme une fleur
Peu nous importe elle chante
Devant le trou du souffleur
Une ma foi fort touchante
Surprise de mes couleurs
Sur une page où mon encre
Se décide à jeter l’ancre
*
A porter un bonnet d’âne
Le roi Midas se condamne
Ce sera peut-être le sort
De qui change son encre en or
Taches
Editions Gallimard, 1999
Du même auteur :
« Je n’aime pas dormir… » (19/01/2014)
« Contre le doute… » (19/0120/15)
Préambule (07/04/2016)
Prairie légère (07/04/2017)
Le chiffre sept (07/04/2018)
La forêt qui marche (06/04/2019)
Le séjour près du lac (07/04/2020)
« Peu m’importe la pluie... » (07/04/2022)
Par lui-même. (07/04/2023)
Mensonges (07/04/2024)