Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le bar à poèmes
28 mars 2021

Yves Bergeret (1948 -) : Les grands veilleurs

AVT_Yves-Bergeret_2871[1]

 

Les grands veilleurs

 

Rochers

Plougrescant

Locquémeau

 

Leur probable origine :

on a brisé une chaîne

 

jeté ses mailles à l’eau

 

                              quel fabuleux monstre aura pris le large ?

 

*

 

Mais peut-être sont-ils débris

machineries éparses

d’un quelconque vieux théâtre démonté

 

ou les bris d’un cataclysme avant l’invasion des eaux

 

Ou renversons les choses

 

ils sont peut-être à l’origine même

 

avant le grand montage

des éléments

 

*

 

Ce qui est sûr

c’est que toujours

d’où qu’ils soient vus

ils forment comme  un lapidaire

 

mais dur à visiter

 

l’eau est si revêche

quelle civilisation a bien pu les concevoir

 

Ce n’est pas un cimetière d’Orient

puisque l’islam n’a pas fait le voyage jusqu’à cette côte

du moins pas encore

 

Alors tessons d’une verrerie à déconcertante taille

verrerie pour qui ?

 

Ou encore remparts éboulés de quoi ?

 

*

 

                    Suggestion :

                    on peut les croire

                    pics

                    assez petits pics

 

                    qu’on ne gravit pas

 

                    pas de pionniers pour les nommer

 

                    pics vierges

 

Comme la masse de glace

aux aguets sous son iceberg

quel massif enfoui sous l’eau ou le sable

germe ici ?

 

ou peut-être finit lourdement de s’enfouir

 

*

 

Le granit chamoniard

le granit du Trégor

 

lequel vient de l’autre ?

 

même grains

mêmes cristaux

mêmes fissures

 

lequel a migré ?

 

On connaît le sort du Sahara

qui est le fond d’une mer retirée

et surtout les pitons volcaniques du Hoggar

 

la prochaine marée basse

sera-t-elle basse à jamais

ou en somme dernière marée ?

 

*

 

Restons au présent

 

Ils sont peut-être les bornes militaires du vent

il y mesure ses courses

 

Se posent

souvent à leurs faîtes

mouettes cormorans

fous de bassan

goélands

 

repères ?

 

Repères de qui ?

 

Trépieds ?

Balises ?

 

Pivots des vents ?

 

*

 

Qu’est-ce que les embruns

et la pluie surtout

gardent spécialement pour eux

pour que leurs mousses soient parfois

si chevelues ?

 

Tout rigides qu’ils sont

ils on droit aux attentions

eux

et du vent

et de l’eau

 

Privilèges

 

*

 

Le temps qui passe

le comptent-ils

en succession de jours et de nuits

ou de marées ?

 

Mais ils nient peut-être

que le temps passe

 

*

 

Phares rendus aveugles

 

Ils veillaient autrefois sur des passes

des chenals et des mouillages

 

                                                    comblés

 

 

Et puisqu’ils continuent de veiller jour et nuit

sans la moindre idée de lassitude

eux seuls savent

quand rouvriront les passes

 

 

                                                          Phares     tête coupée

 

                                                          d’où écueils

 

*

 

Instruments de mort

écueils

 

remous noyades

passage d’un univers à l’autre

 

passage d’un élément à l’autre

ici gîtent le crustacé        minéral seigneur

l’oiseau        grand coureur de vents

 

*

 

Chaîne brisée

gisant là

 

attendant

 

phrase hachée

 

mots ou leurs bribes

tombés au sol

en chute aléatoire

 

sens perdu

ici se montre

impudique

le désordre d’avant le sens

 

*

 

Chaos fou paix

calme silence

 

ici on exalte la vie comme chaos

 

ils ne se plient guère à l’ordre des choses

ni même ne participent

à l’orientation des vents

et si peu à celle des euax

 

où n’y cèdent

que par très minime effritement

 

 

Témoins raides

Grands veilleurs

 

In, « Cahier de poésie 3 »

Editions Gallimard, 1980

Du même auteur :

 « Nous allons de toi à moi… » (18/02/2016)

La forêt l’attente (28/03/2019)

Fleuve lent (28/03/2020)

Commentaires
Le bar à poèmes
Archives
Newsletter
106 abonnés