Yves Bergeret (1948 -) : Fleuve lent
Fleuve lent
UNE PLUIE DORMANTE
Pluie louvière
ces bramements de forêts perdues sous leur marais de brume
tels corps, œil bas
corps flétri en très lointaine côte
Pluie
la tenace ancienne
la tenace drapante
tendre étau
Livraison encore et encore
j’y trouve hélas la mesure exacte de la solitude
graminée perdue
LOURD NUAGES
Panache ombreux
comme la nuit se cogne, loi d’airain, à ses vieux
mythes
fumée la tête inclinée biais sou le ciel
on court à la curée
odeur presque indicible
la glaise étire ses plus douloureux regrets
quelle tanière de loutre aveugle
veut voguer le front bas ?
Collusion à l’écluse
où vannes entrebâillée va glisser
faible palabre gris
la foule muette des renoncements divers
dessein défait sous les nuages
cerne lourd
les champs ils étaient bavards
ils baissent le ton
si l’horizon même les délaissait
*
Sera-t-il jamais temps
que nous laissions venir à nous
sur ce pré
jamais fauché
comme anse claire au bord de l’eau
qui pour seul droit connaît celui du soleil
roture nue
à nous venir notre bestiaire
puisque les roues du feu ici ne paissent
ou pacage à tout le moins de salamandre
notre bestiaire
persiennes levées chimères
ombres d’enfants perdus
ces coups intimes de la mer à notre crique nue
L’ŒIL DU FLEUVE
L’œil du fleuve
témoin de la gestation des projets de la plaine
des nuages
transits d’un clan de cantons à l’autre
des rumeurs
L’œil du fleuve
nul
nul riverain ne le voit
car il est au milieu de ce passage inouï de lui à lui-même
il secoue au juste la paix
bailleur de silence
la plaine l’évite
la plaine basse
que son fleuve laboure
Dictée de l’œil secret
In, « Cahier de poésie 3 »
Editions Gallimard, 1980
Du même auteur :
« Nous allons de toi à moi… » (18/02/2016)
La forêt l’attente (28/03/2019)
Les grands veilleurs (28/03/2021)