Charles-Marie Leconte de Lisle (1818 – 1894) : Les clairs de lune (III)
Les clairs de lune (III)
La mer est grise, calme, immense,
L'œil vainement en fait le tour.
Rien ne finit, rien ne commence ;
Ce n'est ni la nuit ni le jour.
Point de lame à frange d'écume,
Point d'étoiles au fond de l'air.
Rien ne s'éteint rien ne s'allume ;
L'espace n'est ni noir ni clair.
Albatros, pétrels aux cris rudes,
Marsouins, souffleurs, tout a fui.
Sur les tranquilles solitudes
Plane un vague et profond ennui.
Nulle rumeur, pas une haleine,
La lourde coque au lent roulis
Hors de l'eau terne montre à peine
Le cuivre de ses flancs polis ;
Et, le long des cages à poules,
Les hommes de quart, sans rien voir,
Regardent, en songeant, les houles
Monter, descendre et se mouvoir.
Mais, vers l'Est, une lueur blanche,
Comme une cendre, un vol léger
Qui par nappes fines s'épanche,
De l'horizon semble émerger.
Elle nage, pleut, se disperse,
S'épanouit de toutes parts,
Tourbillonne, retombe et verse
Son diaphane et doux brouillard.
Un feu pâle luit et déferle,
La mer frémit, s'ouvre un moment,
Et, dans le ciel couleur de perle,
La lune monte lentement
Poèmes barbares
Librairie Poulet-Malassis, 1862
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