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Le bar à poèmes
2 septembre 2020

Henri Meschonnic (1932 – 2009) : « des cheveux tremblent sur des pierres ... »

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des cheveux tremblent sur des pierres

je vois les confondus en terre

les gestes creux

les ventres de la vie

dans un sol où se fondent des os

une terre écorchée de légende

les cris de ces yeux

gouttent sur l’herbe

je plonge mes bras dans le vivier

des morts

***

tous ces corps déversés

sont une pluie tarie

la peau des cris est une plaie

 près de leur bouche

 et mes yeux de jeunesse

une mer ensemencée

de ces cheveux collés

***

les mots me vieillissent ou me font jaillir

ils me mêlent aux autres

 ils liment nos solitudes

pour nous rejoindre

***

on n’a pas fini de naître

on crie en sursis

les lèvres suspendues

à des mots qui ne sont pas dits

***

je rouvre les doigts de mon enfance

sur des yeux couverts de cris

le bonheur a peu de place

le soleil mange des larmes

le jour cache sa vermine

dans mes paumes je vois

ceux qui comptent leur vie

***

je vois

les lèvres écrasées des mains

les morfondus leurs supplices

sur le dos

leurs sourires sont des bêtes

qui se retournent dans leur gorge

l’exode est un arbre brûlé fuir

***

je marche mon exode

il n’y a plus de chants

je ne demande plus rien

je suis la plaie où les mensonges brûlent

c’est sous ma peau que remue le monde

la peur tremble embourbée

on avance

je marche derrière ma vie

comme un esclave

je ne supporte pas

le spectacle de mon visage

***

fuir

de tout mon visage

fuir

vivre

la terre lourde de cris

emplit mes oreilles mes mains

comme un sommeil

où est ma sagesse

on pouvait boire dans ma joie pour un désert

le mur de mes amours

ne me protège plus

immobile dans le désordre de ma peur

je tends mes douleurs

j’émigre mes tortures

je suis lui et lui elle et lui

***

je montre mes mains de paix

j’ai perdu le compte des douleurs

les cris sont une mère

les morts n’ont pas besoin de draps

je palpe la vie

de mon rire

le soleil

colle les mouches sur ma peau

les gestes de ma misère

pressent ma peur

contre ma peau

le visage de la guerre

a pris la forme de mes os

***

les hommes ressemblent à leurs fables

ils ont l’uniforme des victimes

la lumière est la complice de leur faim

quand ils reçoivent le soleil 

 

 

In, Revue « Temporel, N°6, 28 Septembre 2008

Revue en ligne publiée par l’Atelier GuyAnne

77144 Chalifert

Du même auteur :

« je me rattrape… » (15/10/2014)

« Ce que nous savons... » (26/04/2023)

« de nous / tous les moments vivent... » (26/04/2024)/

Commentaires
S
Commenter la shoah?, et pourtant écrire, crier, hurler, ce grand poète a su trouver les mots qui me vont au coeur.
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