Robert Desnos (1900 -1945) : « Hors du manteau, la lumière... »
Hors du manteau, la lumière
De ta chair, nymphe Calixto,
En pleine étoile se libère
Du clair du jour et nous éclaire
Tard ou, suivant la saison, tôt.
Mais qu’importe si l’on préfère,
Jailli du manteau de ta chair,
Ton cœur lui-même sombre et clair.
Que l’éclat sombre sur les rives
Où ta chair décline un couchant
Erotique au ciel où s’inscrivent
Nord, Sud, Est, Ouest et leurs dérives
Et les ourses qui dans ce champ
Vont brouter des herbes cursives,
Aurores, nuages, lueurs
Et boire aux rêves les sueurs.
C’est l’heure où les robes s’écroulent,
Où les cuisses, le ventre rond,
Un sourire sous la cagoule,
Les hanches, la croupe qui roule
Vigne promise au vigneron,
Au bain de la nuit qui s’écoule
S’abandonnent dans les baisers
Et s’irritent pour s’apaiser.
Avec des femmes que j’ignore,
Ô mes amis d’Outre-Océan,
Sous un plafond de météores
Vous déterrez la mandragore.
Je suis toujours du même clan,
Je guette au même sémaphore,
Nymphe prétexte, Calixto,
Le prochain signal de morte-eau.
Que ton chariot, avec ses roues,
Ne puisse franchir l’horizon,
Ou qu’Artémis, le vent en proue,
Te rencontre en ours garoue
Et t’ajoute à ses venaisons,
Que ton sang colore la boue
Avec celui, ô libation,
Du fruit de ta parturition.
Au ciel des couches solitaires
Enfantant des rêves de feu
Ou de glace ou sentant la terre.
Sur les étreintes adultères,
Sur l’équivoque et sur le jeu
Dessinant ton quadrilatère,
Tu es froide comme le Nord,
Nymphe en peine, vaisseau sans port.
Depuis longtemps tu fais la bête
Mais la belle est sous le manteau,
Ainsi dans le poisson l’arête,
Ainsi sous ta chair le squelette
Sur quoi se brise le couteau,
Ainsi la pensée en tête,
Le souvenir, le voeu, l’espoir,
La lumière pour mieux voir.
Et de même sous le langage
Se dissimulent maints secrets.
La toute belle en ses bagages
Cache l’étoile aux bons présages
Et le prisonnier aux aguets,
Rêve de belle et de voyages
Comme aux jours de la nef Argo
Dont les marins parlaient argot.
Calixto
Editions Gallimard, 1962
Du même auteur :
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Ô douleurs de l’amour ! (06/08//2016)
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