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Le bar à poèmes
31 mai 2020

Jean Le Mauve (1939 – 2001) : Ma vie s’envaste

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Ma vie s’envaste

 

Je vous aime petites fleurs des champs piquées dans les poils d’herbe et vous

aussi vaches à têtes carrées, grosses pâquerettes, broutant le pré qui touche au

ciel, peignant un nuage avec votre queue.

Je vous aime chenilles, escargots, paons du jour et vous aussi sales mouches.

Je vous aime bourgeons sucrés, petites feuilles, petites flammes d’un vert

pointu comme les yeux des chats et vous aussi grandes feuilles lisses comme

des miroirs, et vous encore feuilles tombées, maquillées, trouées comme des

visages.

Je vous aime mouchoirs de terre, cordes de lumière, ventre des nuages, rivières

à blé.

Je vous aime chevreaux électriques, tendres salades, folles allumettes et vous

aussi bouteilles de vin, vieux arrosoirs, lampes à pétrole, clous rouillés et

j’en passe.

Je vous aime amis fidèles et infidèles dans vos habits de toujours vivants.

Je t’aime ma femme aux longues jambes, plus que tu ne le supposes, et vous

aussi enfants à têtes d’anges.

Je t’aime brouette trop lourde de mon cœur et toi aussi rat de ma tête, même

quand je cogne, quand je tue à coups de bêche, parce qu’il faut bien quand

même veiller au grain.

Je vous aime tous je vous assure et je ne sais si j’en vis, si j’en crève, vous êtes

parfois si imparfaits, mais de vous à moi la musique est tellement, tellement

belle.

 

Oui, je suis bien dans l’été de mon âge.

Les êtres, les choses m’envahissent, me bousculent.

Je les étreins, je les défriche, je les renverse.

Je ne me cherche plus, je me disperse.

Je déborde comme un fouillis de viorne et de lierre.

Je sème ; le grain lève, fragile et rose ;

déjà je suis ailleurs. Et qu’importe

si la récolte se fait sans moi.

Mes pensées filent comme le liseron.

Mes actes éclatent comme des fruits mûrs

Les forêts, les prés, les oiseaux, les hommes

                                                        me montent à la tête.

TERRE, TERRE, comme il fait bon s’étendre à travers toi.

 

Terre, terre, comme il fait bon s’étendre à travers toi.

L’Arbre, 02470 Danmard, 1972

Du même auteur :

Bétracq (31/05/2021)

Poème d’un instant (31/05/2022)

Pente d’herbe (31/05/2023)

Coucher d’oiseaux (31/05/2024)

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