André Gide (1869 – 1951) : « Nathanaël, je te raconterai les sources … » (08/04/2018)
Nathanaël, je te raconterai les sources :
Il y a des sources qui jaillissent des rochers ;
Il y en a qu’on voit sourdre de sous les glaciers ;
Il y en a de si bleues qu’elles en ont l’air plus profondes ;
(À Syracuse, la Cyané merveilleuse à cause de cela.)
Source azurée ; vasque abritée ; éclosion d’eau entre des papyrus ; nous nous
sommes penchés de la barque ; sur un gravier qui semblait de saphirs, des
poissons d’azur naviguaient.
À Zaghouan, de la Nymphée jaillissent les eaux qui jadis abreuvaient Carthage.
À Vaucluse, l’eau sort de terre, abondante comme si elle coulait depuis
longtemps ; c’est déjà presque un fleuve, et qu’on peut remonter sous la terre ; il
traverse des grottes et s’imprègne de nuit. La lumière des torches vacille, est
oppressée ; puis il y a un endroit tellement sombre qu’on se dit : Non, jamais je ne
pourrai remonter plus avant.
Il y a des sources ferrugineuses, qui colorent somptueusement les rochers.
Il y a des sources sulfureuses, dont l’eau verte et chaude paraît d’abord
empoisonnée ; mais, Nathanaël, lorsqu’on s’y baigne, la peau devient si
suavement douce, qu’après elle est encore plus délicieuse à toucher.
Il y a des sources d’où s’essorent des brumes, au soir ; brumes qui flottent
autour dans la nuit et qui, le matin, lentement se dissipent.
Petites sources très simples, étiolées entre les mousses et les joncs.
Sources où viennent laver les laveuses et qui font tourner des moulins.
Inépuisable provision ! jaillissement des eaux. Abondance de l’eau sous les
sources ; réservoirs cachés ; vases déclos. La roche dure éclatera. La montagne se
couvrira d’arbustes ; les pays arides se réjouiront et toute l’amertume du désert
fleurira.
Les Nourritures terrestres,
Editions du Mercure de France, 1897
Du même auteur :
« Nathanaël, je t’enseignerai la ferveur… » (20/04/2015)
« Certes, délicieuse est la brume... » (08/05/2019)
« Nathanaël, je te parlerai des attentes... » (08/05/2020)