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Le bar à poèmes
26 janvier 2020

Aimé Césaire (1913 – 2008) : Configurations

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Configurations

 

à Jacqueline Leiner

1

 

rumeur

     de remugle de mangles

      de coques déchirées

                                   de graines volantes

rumeur de graines ancreuses qui savent si bien

s'inventer le supplice d'une terre

 

(et tant pis pour ceux qui ne comprennent pas

la gravité toujours à remonter de ce jeu de

dérives et d’échouages)


condescendance du balisage annoncée

 

     galop précipité du fond des âges

      de toutes bêtes effarouchées

 
          la langue de feu

           le dire

 
la bonne vipère exaspérée du tendre lait des hommes

 

2

 

Quand je me réveille et me sens tout montagne

pas besoin de chercher. On a compris.

Plus Pelée que le temps ne l'explique.


D'autres fois à me tâter tatou, je m'insiste

de toute évidence en Caravelle, étreignant

sans phare tous feux éteints

un océan d'huile fausse et de flibuste

 


Parfois c'est une cannaie en fleurs qui m'improvise

plumet en tête.

Balance ce n'est pas le bon signe.

C'est que j'attends l'imminente arrivée d'un mildiou

rabougrisseur.

 

Mes beaux jours, c’est quand,

sans scrupule, furibond tourbillon cynique,

ricanant de toute proie enfermée dans la serre de mes

remous,

 

je m’élance

 

          aveugle

          à mort

           amok
 

Cà c’est mes jours glorieux

                                    rageur

                                                vengeur

3

 

Rien ne délivre jamais que l'obscurité du dire

Dire de pudeur et d'impudeur

Dire de la parole dure.

 

Enroulement de la grande soif d'être

spirale du grand besoin et du grand retour d'être

nœud d'algues et d'entrailles

nœud du flot et du jusant d'être.

J'oubliais : le dire aussi d'étale :

c'est nouée la fureur de ne pas dire.


La torpeur ne dit pas.

Epaisse. Lourde. Crasse.

Précipité. Qui a osé ?

l'enlisement est au bout.

Au bout de la boue.

ah!

     il n'est parole que de sursaut.

     Briser la boue.

          Briser.


Dire d'un délire alliant l'univers tout entier

à la surrection d'un rocher !

4


Cet espace griffonné de laves trop hâtives

je le livre au Temps.

(le Temps qui n'est pas autre chose que la

 lenteur du dire)

 

                                              la fissure

                                   toute blessure

jusqu'à la morsure de l'instant infligée

par l'insecte innocent

 

L'interstice même que la vie ne combla

tout se retrouvera là

cumulé pour le sable généreux

 

Prière reconnaître à l'orée de la caverne

un bloc de jaspe rouge

 assassiné de jour

           caillot

 

Aimé Césaire : La Poésie

Editions du Seuil, 2006

Du même auteur :

 « Je retrouverais le secret des grandes communications… » (25/01/2014)

En guise de manifeste littéraire (25/01/2015)

Et les chiens se taisaient (26/01/2016)

Fragments d’un poème (26/01/2017)

Soleil serpent… » (26/01/2018)

A l’Afrique (26/01/2019)

Batouque (26/01/2021)

Idylle (26/01/2022)

Corps perdu (26/01/2023)

Rocher de la femme endormie (07/02/2024)

 

Commentaires
S
Paroles magiques que ce poème où chaque chante et comme un flux de lave.<br /> <br /> Césaire génie!
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