Antonin Artaud (1896 – 1948) : « Il y a dans la magie... »
Il y a dans la magie
l’immixion perpétuelle
de dieu
non comme un esprit
ou comme un être
mais comme un état
plus carié
du cœur
Car qu’est-ce que c’est que le cœur ?
Une carie
une carie perforante de chair
dont l’attendrissement
a fait cet organisme
de sang mou
et battant
ce séisme perpétuel
cette syncope de la vie.
Qu’est-ce qu’un battement de cœur ?
Une vie qui s’arrête brutalement de fluer,
d’abonder là,
et qui repart.
Poussée par quoi ?
On ne sait pas.
Une nécessité déjà noire,
une avarie menaçante du cerveau,
qui relève l’étron de chair rouge
et le pousse à donner
ce qu’il a
à dire
ce qu’il veut et
ce qu’il a. –
dieu est donc cette carie,
cet étron rouge,
cette avarie.-
car dieu est une maladie.
Ce n’est pas le créateur,
c’est le gouffre
entre le créé et l’incréé.
Gouffre qui ne sera jamais rempli
ni remplacé,
mais qui se vrille
dans chaque pensée révulsée de l’homme,
dans chaque impérative angoisse,
mal disposée et mal placée,
pour lui imposer une angoisse de plus :
celle de l’Etre insatisfait,
qui ne sait pas de quoi il est fait,
alors que l’homme lui, le sait,
pourvu qu’il soit en bonne santé.
Mais il n’est plus en bonne santé.
Il n’est jamais en bonne santé.
Et c’est la présence,
l’apparition de dieu,
de ses sbires ou de ses vices,
qui lui ont enlevé cette santé,
en jetant dans le monde
un certain nombre d’idées
qui jusque-là n’avaient pas existé
et qui composent toute la magie
dont il va être question ici :
mort,
astral,
au-delà,
hypnose,
rêve,
médiumnité,
magnétisme,
transmission de pensée,
survie
néant
esprit
pensée
dialectique
personnalité. –
L’homme a connu l’immortalité.
La seule, la vraie !
L’immortalité corporelle.
La durée sempiternelle du corps,
du même homme
dans le même corps
à travers le temps
sans arrêt,
et l’espace
éternellement
inondé. –
il savait qu’il ne mourrait pas,
qu’il n’irait jamais au cercueil
qu’il ne connaîtrait pas
les affres
de l’ensevelissement de la bière,
lesquels ont été de toutes pièces
inventés
par les lémures,
qui en font d’obscènes repas,
qui en composent toute leur nourriture,
et sans ces affres ils ne vivraient pas. –
L’homme avait été créé immortel,
et ce n’est pas de l’histoire sainte,
c’est l’histoire de la vérité,
il n’avait pas d’astral où aller.
ne lui introduisez-pas
la dialectique cérébrale de la pensée
pas d’au-delà,
pas de survie,
pas d’hypnotisme,
pas de magie.
La magie était de durer
sans jamais cesser de durer.
Or la magie a voulu exister elle aussi,
(car jamais de chair ou d’esprit)
elle est venue s’enter sur la vie
comme si elle avait besoin de cette zone, la vie,
de cette zone sombre
d’inconscience et d’infamie,
de ce côté abject des choses,
de ce sale versant taré,
de ce versant taré des choses,
de cette pente,
les bêtes sclérosent les mouvements du cerveau,
de la conscience et du cerveau,
de l’inconscient hors du cerveau,
de l’inconscience sans cerveau,
de la vie toute nue et dépouillée
de cerveau,
d’esprit,
de conscience,
et n’étant plus qu’un mouvement infini.
or pontchou sou
fatarouh
La magie ? Elle est cette touffeur suffocante,
cette pouffée, cette inénarrable bouffée de souffles,
mais surtout d’idées,
à jamais instituées
le long du grand escalier auriculaire
commandé par le serpent cornichon
par la vieille tête
(Et les idées se transmettent d’âge en âge le long de ce grand escalier qui domine
et supere,
il supervise
les humanités.)
cette ignoble tornade du mal
tordue comme un torchon d’étrons
un gigantesque,
et crapuleux torchon
plein d’insectes,
de miasmes,
d’opaques lourdeurs,
d’épaisses touffeurs,
d’arides douleurs,
oui, la magie a apporté des douleurs,
et c’est elle qui a apporté la douleur.
Vous ne savez pas ce que c’est que la magie ?
Eh bien je suis justement en train de vous le dire.
Elle n’est pas cette maçonnerie,
cette symbolique,
cette théurgie,
cette psychurgie,
cette gorgée sanguinolente d’orgies,
cette fantastique cérémonie,
ce cérémonial d’apparat,
cet appareil à tourner le cerveau à ça,
pour faire virer l’esprit
du côté où l’on voit
du dedans au dehors
et du dehors audedans,
elle n’est pas cet éclair
seulement de magnésie,
cette râpe à radoter la vie,
elle n’est pas cette chausse-trape de survie
où l’on se voit soi-même sorti
après la vie.
Et puis quoi
en lutte avec la haine,
en proie à la montée haineuse
il y a plus haut que les nuages,
après
il y a un érotisme transcendantal,
que l’on retrouve en haut,
sur le front surélevé des choses,
on le trouve plus haut que tout
avec le suprême de la vie.
Les hyper-espaces
approchent des eaux gazeuses de l’infini
qu’il faudra traverser avec l’arche
construite contre toute maladie
ce n’est pas une masturbation énorme de la chair que l’esprit parviendra à
nommer le problème
de l’envahissement des eaux de la chair dans la vie. –
Ne plus chercher sous prétexte d’érotisme et de péché !
Chercher quoi ?
Qu’est-ce que je voulais savoir ?
Je suis plein d’érotisme et de sexualité.
Sont-ce les êtres
qui dégagent ces gaz
toxiques archi-sidéraux ?
(Cahier 398, février 1948)
Revue « Tel quel, N° 35, automne 1968 »
Editions du Seuil, 1968
Du même auteur :
« Il faut que l’on comprenne que toute intelligence… » (24/01/2014)
Position de la chair (24/01/2015)
Invocation à la Momie (25/01/2016)
Prière (25/01/2017)
« Les êtres /ne sortent pas … » (25/01/2018)
Le navire mystique (25/01/2019)
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