Antonin Artaud (1896 – 1948) : « Et c’est ainsi que van Gogh... »
Autoportrait, fusain sur papier, vers 1920
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Et c’est ainsi que Van Gogh est mort suicidé, parce que c’est le concert de
la conscience entière qui n’a plus pu le supporter.
Car s’il n’y avait ni esprit, ni âme, ni conscience, ni pensée,
il y avait du fulminate,
du volcan mûr,
de la pierre de transe,
de la patience,
du bubon,
de la tumeur cuite,
et de l’escharre d’écorché.
Et le roi Van Gogh sommeillait, incubant la prochaine alerte de
l’insurrection de sa santé.
Comment ?
Par le fait que la bonne santé c’est pléthore de maux rodés, de formidables
ardeurs de vivre, par cent blessures corrodées, et qu’il faut quand même faire
vivre,
qu’il faut amener à se perpétuer.
Qui ne sent pas la bombe cuite et le vertige comprimé n’est pas digne d’être
vivant.
C’est le dictame que le pauvre Van Gogh en coup de flamme se fit un
devoir de manifester.
Mais le mal qui veillait lui fit mal.
Le Turc, sous sa figure honnête, s’approcha délicatement de Van Gogh pour
cueillir en lui la praline,
afin de détacher la praline (naturelle) qui se formait.
Et Van Gogh y perdit mille étés.
De quoi il est mort à 37 ans,
avant vivre,
car tout singe a vécu avant lui des forces qu’il avait rassemblées.
Et c’est maintenant ce qu’il va falloir rendre, pour permettre à Van Gogh
de ressusciter.
En face d’une humanité de singe lâche et de chien mouillé, la peinture
de Van Gogh aura été celle d’un temps où il n’y eut pas d’âme, pas d’esprit,
pas de conscience, pas de pensée, rien que des éléments premiers tour à tour
enchaînés et déchaînés.
Paysages de convulsions fortes, de traumatismes forcenés, comme d’un
corps que la fièvre travaille pour l’amener à l’exacte santé.
Le corps sous la peau est une usine surchauffée,
et dehors,
le malade brille,
il luit,
de tous ses pores,
éclatés.
Ainsi un paysage
de Van Gogh
à midi.
Seule la guerre à perpétuité explique une paix qui n’est qu’un passage,
ainsi qu’un lait prêt à verser explique la casserole où il bouillait.
Méfiez-vous des beaux paysages de Van Gogh tourbillonnants et pacifiques,
convulsés et pacifiés.
C’est la santé entre deux reprises de la fièvre chaude qui va passer.
C’est la fièvre entre deux reprises d’une insurrection de bonne santé.
Un jour la peinture de Van Gogh armée et de fièvre et de bonne santé,
reviendra pour jeter en l’air la poussière d’un monde en cage que son
cœur ne pouvait plus supporter.
Van Gogh le suicidé de la société
Editions K, 1947
Du même auteur :
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