Jean Rousselot (1913 – 2004) : Retour
Retour
Malgré moi je me souviens des mansardes sombres
Où l’ennui accrochait un sourire figé,
Des linges qui sèchent au-dessus de l’âtre,
De la cuvette usée et des vitres chevrotantes.
Malgré moi, j’ai pitié des cours profondes et visqueuses
Sans oiseaux, sans feuilles tourbillonnantes
Et du pétrin invisible qui geint en bas
Nuit et jour, comme un forçat enterré.
Malgré moi, j’ai pitié des vieilles repasseuses
Aux jambes lourdes, aux yeux rougis
Et de l’ivrogne rentré tard qui bat sa femme
Dans l’entresol fumeux.
Malgré moi, j’ouvrirai encore ma mémoire
Sur de vieux oripeaux, de vieux airs, une pluie
Vieille comme le monde
Qui, aux fenêtres hautes, délayait la suie.
Il serait bon encore de rêver dans l’obscur,
La joue contre le plâtre froid, le menton sur le poing,
Et d’attendre, sachant qu’il ne viendra personne,
Attendre, très tard, perdu dans le nuage énorme de la misère.
Il serait bon d’être encore penché
Sur l’escalier au froid remugle,
Attentif aux soupirs, aux tintements furtifs,
Avec la faim, qui joue à cache-cache derrière les tempes.
Il serait bon de croire que les maisons vont fondre
Dans le brouillard qui, tôt le soir, vient les saisir ;
Que les hommes demain seront nus et visibles
Que tout peu s’arranger avec un peu d’amour.
Le poète restitué
Le pain blanc, éditeur, 1941
Du même auteur :
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