Jean-Claude Pirotte (1939 – 2014) : Blues du déraciné
Blues du déraciné
mon nom je l’ai perdu donnez-moi donc
le nom que vous donnez générique et
banal au peuple déplacé qui va
de rue en rue de taudis en taudis
donnez-le-moi ce nom celui d’un père
assassiné d’un frère embastillé
d’une fiancé noire au corps vendu
mon nom perdu rendez-le moi rendez
son nom d’homme au pauvre Gaspard Hauser
mais vous n’écoutez pas la plainte des
lèvres tuméfiées ni le crépi-
tement des flammes autour de minuit
nous ne pouvons même pas incendier
la Bastille ni corrompre la foule
des corrompus dans vos palais nous ne
cesserons pas de hurler à la lune
vous prétendez que nous sommes des chiens
car vos lois ont chassé les loups des villes
mais nous sommes la meute nouvelle une
espèce disparue qui rôde sans
asile et sans loi sinon celle du
prédateur louvoyant qui se déplace
en silence, et solitaire quand la
solitude est plus sûre que le clan
vous ne savez rien de nous notre nom
vous-même l’avez arraché de nos
mémoires vous l’avez bafoué vous
nous avez bannis sans penser qu’un jour
vous serez livrés à notre merci
Un bruit ordinaire
Les Editions de La Table ronde, 2006
Du même auteur :
« Je ne vais pas bien loin… » (20/10/2014)
« j’écris dans la cuisine » (01/11/2016)
« Il y avait toujours des enfants... » (14/05/2020)