Alfred Jarry (1873 – 1907) : Madrigal
Madrigal
Ma fille - ma, car vous êtes à tous,
Donc aucun d'eux ne fut valable maître,
Dormez enfin, et fermons la fenêtre :
La vie est close, et nous sommes chez nous.
C'est un peu haut, le monde s'y termine
Et l'absolu ne se peut plus nier ;
Il est si grand de venir le dernier
Puisque ce jour a lassé Messaline.
Vous voici seule et d'oreilles et d'yeux.
Tomber souvent désapprend de descendre.
Le bruit terrestre est loin, comme la cendre
Gît inconnue à l'encens bleu des cieux.
Tel le clapotis des carpes nourries
A Fontainebleau
A des voix meurtries
De baisers dans l'eau.
Comment s'unit la double destinée ?
Tant que je n'eus point pris votre trottoir
Vous étiez vierge et vous n'étiez point née,
Comme un passé se noie en un miroir.
La boue à peine a baisé la chaussure
De votre pied infinitésimal,
Et c'est d'avoir mordu dans tout le mal
Qui vous a fait une bouche si pure.
In, « La Revue blanche, N° 233, 15 Février 1903 »
Du même auteur :
Manao tupapau (05/11/2020)
Ia orana Maria (06/11/2021)
Tapisseries. I. La peur (06/11/2022)
Tapisseries. II. La princesse Mandragore (06/11/2023)
Pastorale (06/11/2024)