Luis Cernuda (1902 – 1963) : Le nom
Le nom
Tranquille vienne ton pas
Sur la terre, où
Brille d’une ombre rouge
Ce hêtre, et proche
Avec son ombre d’or
Ce châtaignier, sous la caresse
De la lumière même. Passe
Cette heure avec toi-même
Seul à seul, comme si c’était
La dernière heure,
La première, peut-être
Seuil de mort ou de vie,
Tandis que l’après-midi tourne
Indicible douceur
Et beauté indicible.
Le monde vit avec son ciel ;
Toutes nouvelles sont les feuilles ;
Et les fleurs du pommier
Plus belles que neige, sans vent,
Tombent en abondance ;
L’herbe offre à l’amour
Le songe, et l’air
Qu’on respire est délice.
L’homme lui-même semble,
Toi immobile, entre les autres,
Un arbre de plus, un ami
Enfin en paix, la seule
Paix de toute la terre.
Recueille ton âme, et regarde ;
Peu regardent le monde.
La réalité que personne
Ne voit, attend, patiente,
Telle une jeune créature,
Un miroir en des yeux
Pleins d’amour. Pas un mot.
En cet instant toute
Expression humaine devient
Superflue ; seul un nom
Pensé, mais non pas dit
(Avril, avril), le cerne
En sa perfection et lui donne
L’Unique forme qui suffit.
Traduit de l’espagnol par Jacques Ancet
Jacques Ancet : « Luis Cernuda »
Editions Seghers (Poètes d’aujourd’hui), 1972