Léon-Paul Fargue (1876 – 1947) : « Je t’ai cherché, je t’ai porté… »
Je t’ai cherché, je t’ai porté
Partout. — Dans un square désert au kiosque vide, où j’étais seul
Devant la grille du couchant qui sombre et s’éteint, comme un vaisseau qui
brûle derrière les arbres…
Un jour… dans quelque ville de province aux yeux mi-clos, qui tourne et
s’éteint
Devant la caresse hâtive des express…
Dans une boutique où bougent d’un air boudeur des figures de cendre ;
Sur la place vide où souffle l’oubli ;
Aux rides des rues, aux cris des voyages...
À l’aube, hors barrière, dans un quartier d’usines,
... Au tournant d’un mur, une averse de charbons lancée par des mains
invisibles ;
Un tuyau qui fume en sanglotant…
Dans les faubourgs et les impasses où meuglent les sirènes, où les scieries se
plaignent, où les pompiers sont surpris par un retour de flamme, à l’heure où
les riches dorment…
Un soir, dans un bois, sous la foule attentive des feuilles qui regardent là-haut
filtrer les étoiles,
Dans l’odeur des premiers matins et des cimetières,
Dans l’ombre où sont éteints les déjeuners sur l’herbe,
Où les insectes ont déserté les métiers…
Partout où je cherchais à surprendre la vie
Dans le signe d’intelligence du mystère
J’ai cherché, j’ai cherché l’Introuvable…
Ô Vie, laisse-moi retomber, lâche mes mains !
Tu vois bien que ce n’est plus toi ! C’est ton souvenir qui me soutient !
Aeternae Memoriae Patris
La Nouvelle revue Française, N° 64, Avril 1914
Du même auteur :
La Gare (03/07/2014)
Accoudé (16/03/2016)
« Depuis, il y a toujours, suspendu dans mon front..." (16/03/2017)
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