Léon-Paul Fargue (1876 – 1947) : Rappel
Rappel
Il aime à descendre dans la ville à l’heure où le ciel se ferme à l’horizon
comme une vaste phalène. Il s’enfonce au cœur de la rue comme un ouvrier
dans sa tranchée. La cloche a plongé devant les fenêtres et les vitrines qui
s’allument. Il semble que tous les regards du soir s’emplissent de larmes.
Comme dans une opale, la lampe et le jour luttent avec douceur.
Des conseils s’écrivent tout seuls et s’étirent en lettres de lave au front
des façades. Des danseurs de corde enjambent l’abîme. Un grand faucheux
d’or tourne sur sa toile aux crocs d’un buisson plein de fleurs. Un acrobate
grimpe et s’écroule en cascade. Des naufrageurs font signe à d’étranges
navires. Les maisons s’avancent comme des proues de galères où tous les
sabords s’éclairent. L’homme file entre leurs flancs d’or comme une épave
dans un port.
Sombres et ruisselantes, les autos arrivent du large comme des squales à
la curée du grand naufrage, aveugles aux signes fulgurants des hommes.
D’après Paris
N.R.F. 1932
Du même auteur :
La Gare (03/07/2014)
Accoudé (16/03/2016)
« Depuis, il y a toujours, suspendu dans mon front..." (16/03/2017)
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