Michel Manoll (1911 – 1984) : La maison de la mer
La maison de la mer
Non, ne me cherchez plus sous ces tuiles disjointes,
Mouette d’autrefois, visiteuse attentive,
Je ne reviendrai plus m’asseoir à cette table,
Ni reprendre ma place à l’orée de la mer ;
Celui qui cherchait là un langage accessible
Au moindre brin d’éther, au plus léger embrun,
S’est engagé, depuis, dans une longue errance,
Séparé des trésors qui brillaient sous son front ;
Il a masqué ses yeux de frondaisons nocturnes
Et ne sait plus très bien en quel lieu il se trouve
Puisque le fil d’écume que vous tressiez pour lui
N’est plus qu’un souvenir élagué par le temps.
Pourtant, si vous passez par la maison marine
Où j’ai tant rassemblé de moire et de froment,
Posez-vous, un instant, sur la plus basse branche
Du sapin qui vacille comme rose des vents :
De ce mouvant refuge vous guetterez la chambre
Que mon regard avait tapissé de corolles
Et vous ranimerez toutes les fleurs décloses
Comme si je pouvais encore choisir.
Veillez pour ce cœur d’homme enlisé dans la ville
Qui n’attend plus personne et ne reviendra plus
Attiser votre cri et lui donner asile
Au fond d’un roc jonché de friables sarments.
L’air du large,
Les Cahiers de l’école de Rochefort
René Debresse, éditeur, 1941
Du même auteur :
La flamme en nous qui sombre (05/03/2016)
Service de nuit (06/03/2017)
A René Guy Cadou (22/04/2020)
Si je ferme les yeux (17/08/2021)
Confrontation (16/08/2022)