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Le bar à poèmes
10 février 2018

Octavio Paz (1914 – 1998) : Source

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 Source

 

Parle laisse tomber une parole

Bonjour j'ai dormi tout l'hiver et maintenant je me réveille

Parle

          Une pirogue glisse vers la lumière

Une parole légère avance à pleines voiles

Le jour a la forme d'un fleuve

Sur ses rives brillent les plumes de tes chants

Douceur de l'eau dans l'herbe endormie

Eau claire voyelles à boire

Voyelles pour garnir un  front des chevilles

Parle

          Touche la cime d'un silence heureux

Et puis ouvre les ailes parle sans cesse

Passe un visage oublié

Tu passes toi-même allure de vent dans un champ de maïs

L'enfance avec ses flèches son idole son figuier

Romps les amarres passe avec la tour et le jardin

Passent futur et passé

heures déjà vécues heures qu'il reste à tuer

Passent des éclairs portant dans leur bec des lambeaux de temps encore vivant

Volées de comètes qui se perdent sous mon front

Parle

          Mouille les lèvres dans la pierre qui jaillit inépuisable

Plonge tes bras blancs dans l'eau pleine de lourdes prophéties imminentes

 

*

Un jour se perd

Dans le ciel fait à la hâte

La lumière ne laisse pas de trace dans la neige

Un jour se perd

Ouvrir et fermer les portes

La graine du soleil s’ouvre sans bruit

Un jour commence

Le brouillard grimpe la colline

Un homme descend la rivière

Ils se rencontrent dans tes yeux

Et toi tu te perds dans le jour

Chantant dans le feuillage de la lumière

Tintent les cloches au loin

Chaque appel est une vague

Chaque vague ensevelit à jamais

Un geste un mot la lumière contre le nuage

Tu ris et te peignes distraite

Un jour commence à tes pieds

Cheveux mains blancheur ne sont pas des noms

Pour ces cheveux cette main cette blancheur

Ce qui est visible et palpable l’extérieur

Ce qui est intérieur et sans nom

 tâtons se cherchent en nous

Suivent la marche du langage

Passent le pont que leur tend cette image

Comme la lumière entre les doigts ils glissent

Comme toi-même entre mes mains

Comme ta main avec mes mains ils s’entrelacent

Un jour se lève avec ces mots

Lumière qui mûrit jusqu’à devenir corps

Ombre de ton corps lumière de ton ombre

Maille de chaleur peau de ta lumière

Un jour commence dans ta bouche

Le jour qui se perd dans nos yeux

Le jour qui s’ouvre sur notre nuit 

*

Comme les pierres du Commencement

Comme le commencement de la Pierre

Comme au  Commencement pierre contre pierre

Les fastes de la nuit :

Le poème encore sans visage

Le bois qui est encore sans arbres

Les chants encore sans nom

 

Mais à pas de léopard déjà c’est l’irruption de la lumière

Et la parole se lève ondule tombe

Et c’est une grande blessure un silence sans tache.

 

*

Même si la neige tombe en grappes mûres

Personne ne secoue de branches là-haut

L’arbre de la lumière ne donne pas de fruits de neige

Même si la neige se disperse en pollen

Il n’y a pas de semailles de neige

Pas d’oranges de neige pas d’œillets

Il n’y a ni comètes ni soleils de neige

Si même elle vole en bande il n’y a pas d’oiseaux de neige

 

Dans la paume du soleil elle brille un instant et tombe

A peine a-t-elle un corps à peine un poids un nom

Et déjà elle recouvre tout de son corps de neige

De son poids de lumière et de son nom sans ombre

 

 

Traduit de l’espagnol par Jean-Clarence Lambert

in, Octavio Paz : « Liberté sur parole »

Editions Gallimard, 1966

Du même auteur :

L’avant du commencement /Antes del Comienzo (17/01/2015)

Pierres de soleil / Piedra de sol (17/02/2016)

Hymne parmi les ruines / Himno entre ruinas (10/02/2017)

La fille et le printemps / Primavera y muchacha (10/02/2019)

Elégie ininterrompue / Elegía interrumpida (10/02/2020) 

Mise au net / Pasado en claro (10/02/2021)

Le temps même / El mismo tiempo (10/02/2022)

La vie tout simplement / La vida sencilla (10/02/2023)

Réponse et réconciliation / Respuesta y reconciliación (12/02/2024)

 

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