André Velter (1945 -) : Ein grab in der luft
Ein grab in der luft (1)
Je n’ai les mots ni la langue
qui tue et chante tout à la fois.
Je n’ai, clouée sous les ongles,
aucune rumeur d’enfance
comme celle de l’orphelin tombé des convois,
et qui ne s’apprend pas,
ni ce legs agrippé pour toujours
aux barbelés de Pologne.
Je n’ai voix assez rauque
assez exténuée, assez trouée,
je parle par défaut sans m’écorcher
si profond que cela,
gorge à sec à force de recoudre
l’écho du marteau à briser les tympans, l’écho
du ressac de ballast qui ne sait plus s’il frappe
au dehors ou au-dedans des dents, l’écho
de ce qui chuinte au coin de vieilles lèvres
jusqu’à ne plus faire bouche,
quand on a oublié note à note la musique,
lettre à lettre le sens du dernier cantique.
Comment se peut-il
que sans être incurable
on ne veuille pas guérir ?
On retourne à la ritournelle
qui broie du silence
et du rouge et du noir
sur les écrans du monde.
Où est cette tombe dans un souffle d’air
qui attend des suppliciés
dont il ne reste pas même un nom,
pas même une ombre à la face lisse du ciel ?
Monte du sol une buée grise
qui masque les lointains, c’est
de la cendre ou peut-être pas,
un petit jour qui ne fait pas une aube,
quelque chose comme de la poussière d’âmes
qui monte et monte, stagne et approche
avec son escorte de corbeaux.
La mort n’est plus seulement un maître d’Allemagne
il y a tant de dialectes maintenant où lâcher les molosses,
jouer avec les serpents, hurler qu’il faut
creuser et creuser l’interminable fosse commune,
tant de prénoms qui sortent des enfers
sans leurs Eurydice de fumée,
tant de poids morts à porter,
à traduire, à cracher
dans toutes les langues blessées à mort
qui disent qu’un homme habite la maison
et que c’est un bourreau,
plus seulement un maître à l’oeil bleu
mais un milicien de partout
Comment se peut-il
que sans être incurable
on ne veuille pas guérir ?
On retourne à la ritournelle
qui broie du silence
et du rouge et du noir
sur les écrans du monde.
Où est cette tombe dans un souffle d’air
quand manque jusqu’au souffle
que l’infini est à l’étroit et l’absence
serrée dans un cadre vide ?
Monte du sol une fumée
qui n’a pas d’horizon, c’est
du soufre ou peut-être pas,
une maladie qui ne fait pas de flamme,
quelque chose comme du feu froid
qui monte et monte, stagne et approche
avec sa garde de potences.
La botte écrase la montre et le poignet,
l’heure est la même Sulamith, Margarete,
pour tous les maîtres d’Allemagne
qui donnent de la mâchoire en serbe ou en chinois,
en russe, turc, anglais, arabe, français, coréen,
l’heure est la même Leïla, Tséring, Marina,
pour tous les chiens qui aboient
après cette tombe qui ne retient pas un nom,
pas une ombre dans un souffle d’air.
Les langues blessées à mort disent qu’un homme
habite la maison et qu’il siffle
par-dessus les corps jetés aux corbeaux
alors que pour creuser et creuser
il ne reste personne.
Comment se peut-il
que sans être incurable
on ne veuille pas guérir ?
On retourne à la ritournelle
qui broie du silence
et du rouge et du noir
sur les écrans du monde.
Je n’ai ni les mots ni la langue
qui tue et chante tout à la fois.
Je n’ai voix assez rauque
assez exténuée, assez trouée…
Un homme qui ressemble à un autre
habite la maison.
Le maître d’Allemagne engrange en tous pays.
Il y a dans le décor des cadavres sans cause.
La mort est un bourbier recouvert d’oiseaux noirs.
Comment se peut-il
que sans être incurable
on ne veuille plus guérir ?
D’un bouteille jetée à la Vistule
sur le chemin de la chambre à gaz
remonte le message d’un anonyme
après quoi tout se tait :
Le mot chien aboie-t-il ?
(1) « une tombe dans un souffle d’air ». Citation extraite du poème de Paul Celan : « Todesfuge »
Vladimir Velickovic et André Velter : « Carnets de dessins »
La Main parle, éditeur, 2000
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