Jan Zahradníček (1905 – 1960) : Lettre à ma femme
Lettre à ma femme
Tu parles et te souviens.
Tu ignores où je suis, et n’imagine pas
que je suis assis ici, les mains vides,
hôte d’une sournoiserie hostile,
pour qui le soleil est devenu une rareté
et qui, tel Dante dans son enfer,
ne verra pas de sitôt d’étoiles,
ni la lune, le vent dans les arbres, pas plus que ton sourire chargé d’été.
Tu ignores où je suis, alors que moi, si près,
j’entendrais pour un peu comme tu passes en silence
devant les objets chers et familiers
pour ne pas réveiller les enfants. Il est tôt,
le soleil commence à brûler.
Cet immense soleil de vacances, de moisson,
gronde dans les rues et moi, dans ma cellule, je crois comprendre
que tout le monde là-bas, dehors, part pour une fête.
Pourquoi, sinon, s’exciteraient-ils tant en parlant, pourquoi seraient-ils si
pressés,
en faisant vibrer tous les trottoirs ? J’entends cette fraîcheur de leurs pas,
cette impatience,
comme s’ils eussent prêté foi aux rêves des enfants
et couraient maintenant pour connaître
la vérité sur le miracle.
Toi aussi tu es là, quelque part. A l’église,
puis faire des courses. Tu te fais des soucis pour les enfants.
Que d’apparitions ne t’ont-ils pas données,
de miracles dont tu as la preuve.
Tu ne doutes d’aucun,
tu les garde tous en mémoire et aimerais tant m’en parler
si seulement j’étais de retour.
Le petit se tourmente tant
pour moi, m’écris-tu.
Console-le, cesse de pleurer. Les journées de toute façon s’écourtent.
Le temps des décisions approche, quoi qu’il arrive.
Nous ne sommes pas seuls à souffrir ainsi, penses-y. Pense à toutes ces
ruines
de familles défaites, à toutes ces braises qui s’éteignent.
Il ne serait pas décent de porter un trop grand bonheur
lorsque souffre Dieu, et qu’on a tellement sali
le visage de l’homme.
Traduit du tchèque par Petr Král
In, « Anthologie de la poésie tchèque contemporaine, 1945 – 2000 »
Editions Gallimard (Poésie), 2002
Du même auteur : Autrfois (14/10/2018)