Jean-Claude Renard (1922 - 2002) : Noir – mais pour initier
Noir – mais pour initier
I
De biais
Longeant la lise verte,
Les mouettes suivent, piquent du bec
Le mot semblable et différent écrit sur chaque coquillage
Tête prosternée,
Pressentent-elles sous le varech
Ce moment neutre où la braise : accrue, réduite d’un tison
- Va se renflammer ou s’éteindre ?
2
Nul ne déchiffre,
Hors la fable,
Qu’une île plus l’autre font trois : non deux
Dans la limaille de la mer,
- Par même aimant
D’écart et d’alliance
Signant le pluriel
De l’Un
3
A peine l’huître entre les lèvres
Et la main propice au poulpe blanc
- Une résine incante l’or.
Serait-ce là,
Comme l’anémone,
Qu’indéfiniment l’inconnu
S’enfante, fruite, s’ouvre et se ferme à juste guise
Ou selon le vif du sang ?
4
Peut-être,
Quand l’épine s’enfonce dans la fête
Des figues fraîches et fendues
Où l’origine accueille le futur,
- le prisme sacré
Diffuse t-il d’une égale merveille
La lumière et l’ombre
Du dieu…
5
Mais pour sonder le quartz noir
- Quel corps
S’arrachant aux rites , brûlant l’alibi de l’absence
Osera sans leurre
Courir la chance du non-retour :
Entrer nu
Dans le puits avide et terrible où (fût-ce comme par imposture)
L’anguille craint de s’insinuer ?
6
Les prophéties, parfois, semblent d’un grand cri rouge
Saluer quoi dans le néant…
Sauraient-elles s’il ruse
- Ou qu’une étrange nuit lovée dans la nuit familière
Y loge, veille, mûrit l’illimité
Puis monte à travers la banquise
Eclairer le langage qui vient, par transhumance, de l’intime indicible ?
Reste qu’au vœu de vivre
L’abîme dédie,
Greffe plus que l’abîme
7
Sous le sable, où méditent ses nids, flairer la source
Hallucine !
Pourtant, les buissons d’algues, le corail que l’oursin célèbre
Citent l’énigme à comparaître,
- Et risque pris, désir dressé vers le silence,
Epient le feu,
Guettent l’écho de la fenêtre qui rendrait possible
L’impossible !
8
Si le mythe luit à marée basse,
-N’est pur instant
Que par déplis et plis de soi
Ce qui renîat avant de naître.
Le vide
S’emplit de salive.
Et mangeant la mort, comme l’étrille, une joie s’approche sur les galets…
9
Seul le mystère
Fonde l’être.
La Lumière du silence
Editions du Seuil, 1978
Du même auteur :
Approche de la mort (14/10/2014)
Psaume de Pâques (16/12/2015)
L’exode annonce une rivière (16/12/2017)