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Le bar à poèmes
24 novembre 2016

John Ashbery (1927 - 2017 ) : La seule chose susceptible de sauver l’Amérique / The one thing that can save America

JohnAsbery_NewBioImage_1_

 

La seule chose susceptible de sauver l’Amérique

 

Y a-t-il rien de central ?

Vergers lancés au petit bonheur la terre,

Forêts urbaines, pépinières rustiques, collines pas plus hautes que le genou ?

Et ces noms de lieux, centraux eux aussi ?

Elm Grove, Adcock Corner, Story Book Farm ?

Défilant à toute allure à hauteur d’oeil

S’incrustant de force dans le regard jusqu’à plus soif,

Merci, çà suffit comme çà merci.

Et maintenant, au tour du paysage à demi nocturne,

Plaines humides, banlieues montées en graine,

Lieux d’orgueil civique, d’anonymat civil évidents.

 

Tous connectés à ma vision de l’Amérique,

Seulement, la « sauce » n’est pas là.

Ce matin quand je suis sorti de ta chambre

Après un petit déjeuner nourri d’une éclosion feutrée de coups d’œil

Prospectifs, rétrospectifs, pour faire retour à la lumière,

M’avancer dans la lumière insolite,

Etions-nous les acteurs, était-ce

L’étoffe, l’agrume de la vie des vies

Que nous mettions en stère, mesurions ?

Humeur à oublier très vite dans l’enchevêtrement

Des poutrelles de lumière et la fraîcheur des ombres citadines

De ce matin qui de nouveau nous a saisis ?

 

Je suis conscient de vouloir trop lier mes propres

Perceptions inabouties des choses se présentant à moi.

Privées elles sont, le resteront toujours.

Où donc rencontrer les tournants secrets des évènements

Qui tonitrueront demain comme carillons d’or

Déchaînés à toute volée à la plus haute tour de la ville ?

Ces trucs tordus qui m’arrivent, que je vous raconte,

Pas besoin de vous faire un dessin pour que vous compreniez

     aussitôt,

Au fond de quel verger accessible par quelles routes tortueuses

Sont-ils blottis ? Où sont leurs racines ?

 

Ce sont les gros coups, les épreuves

Qui nous disent si nous serons connus

Si notre destin aura valeur d’exemple, d’étoile

Le reste est comme quelqu’un

Qui attend une lettre qui n’arrivera jamais,

Jour après jour exaspération jusqu’à ce que,

Enfin il la déchire, il l’ouvre, ne sait pas ce qu’elle est

Les deux moitiés d’enveloppe posées sur une assiette.

C’était un message simple, en apparence,

Dicté de nombreuses années jadis.

Sa vérité est immuable mais son temps

Ne s’est pas encore présenté, elle parle du danger, des mesures

     restreintes

Que l’on peut prendre contre lui, aujourd’hui

Comme à l’avenir, dans les cours froides,

Dans de paisibles petites maisons rurales,

Notre campagne, derrière les palissades, à l’ombre secrète des rues.

 

Traduit de l’anglais par Jacques Darras,

In, « Arpentage de la poésie contemporaine »

Trois Cailloux – Maison de la Culture d’Amiens éditeur

Collection « In’hui », Amiens, 1987

Du même auteur :

Pyrogravure / Pyrography (24/11/2017)

 Grand galop (24/11/2018)

 

 

 

The one thing that can save America

 

Is anything central?

Orchards flung out on the land,

Urban forests, rustic plantations, knee-high hills?

Are place names central?

Elm Grove, Adcock Corner, Story Book Farm?

As they concur with a rush at eye level

Beating themselves into eyes which have had enough

Thank you, no more thank you.

And they come on like scenery mingled with darkness

The damp plains, overgrown suburbs,

 Places of known civic pride, of civil obscurity.

 

These are connected to my version of America

But the juice is elsewhere.

This morning as I walked out of your room

After breakfast crosshatched with

Backward and forward glances, backward into light,

Forward into unfamiliar light,

Was it our doing, and was it

The material, the lumber of life, or of lives

We were measuring, counting?

A mood soon to be forgotten

In crossed girders of light, cool downtown shadow

In this morning that has seized us again? 

 

I know that I braid too much on my own

Snapped-off perceptions of things as they come to me.

They are private and always will be.

Where then are the private turns of event

Destined to bloom later like golden chimes

Released over a city from a highest tower?

The quirky things that happen to me, and I tell you,

And you know instantly what I mean?

What remote orchard reached by winding roads

Hides them? Where are these roots?

 

It is the lumps and trials

That tell us whether we shall be known

And whether our fate can be exemplary, like a star.

All the rest is waiting

For a letter that never arrives,

Day after day, the exasperation

Until finally you have ripped it open not knowing what it is,

The two envelope halves lying on a plate.

The message was wise, and seemingly

Dictated a long time ago, but its time has still

Not arrived, telling of danger, and the mostly limited

Steps that can be taken against danger

Now and in the future, in cool yards,

In quiet small houses in the country,

Our country, in fenced areas, in cool shady streets.

 

Self-portrait in a convex mirror

The Viking Press editor, New-York (USA), 1975

Poème précédent en anglais :

AllenGinsberg: Kaddish (I) (25/10/2016)

Poème suivant anglais :

Jean Toomer :  Chant de la moisson / Harvest song (02/12/2016)

 

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