André Gaillard (1898 - 1929) : Sans nom
Sans nom
L’aventure et la délivrance
Ont perdu ma raison
La raison d’être seul.
Un prisonnier n’en croit pas son amour
Fin des croyances fin des erreurs
Il est temps de ne plus dormir.
*
La bouche et les yeux de la révolte
La grande convulsion
Mes poings pour un baiser
Mes dents pour un sourire
Puis la tendresse s’est penchée coquine à fleurs et à feuillages
Je ne m’en serais jamais douté
Quel sourire quel pâle sourire
Sa bouche efface tous les serments de liberté !
*
Liberté liberté
Quand cet oiseau muet descendait sur ta bouche
En mourant tu brulais les dernières cartouches
*
Une chambre dans un grand port
Et mon amour dans cette chambre
Comme les cris les bruits sont maîtres de la ville
Le silence est mon maître éperdu.
Dans le silence s’élève un chant pur
Et personne ne l’entend.
Mon amour n’est pas aux vivants.
*
Mes bras se souviennent de l’avoir ignorée
Cœur sans pardon entends ce hurlement
Ma honte d’être vivant lorsque je suis loin d’elle.
*
Dans les foudres nocturnes de l’amour
Mes yeux et mes mains la caressent
La voilà blanche et lisse
A n’en plus sourire.
Immobile bonheur que rien ne perpétue
Ma vie qui l’a créé se couche sous ton sein
*
Quel insistant quel secret chemin
M’a conduit sous ses os entre ses veines
Dans toute cette vie d’herbe et de sang
Dans cette vie animale et murmurante où je me perds avec le vent.
Renversé dans son corps je suis ma seule image
J’attends l’air qu’elle respire et la lumière qu’elle me rend
Je m’embrasse en l’aimant
Et son souffle où voltigent tous les oiseaux aveugles
Est ma réalité.
Je la perdrais en le perdant.
*
Parfois pour m’éprouver
Elle prend d’autres visages
Rusée dans les lianes et prise à sa douleur
Je la délivrerais toujours.
*
Lorsque ses yeux se ferment ils ne m’apprennent qu’à mourir
En silence
A mourir sur son corps où la douleur renaît
Mais qu’elle les rouvre et qu’elle m’éveille
Je tremble de bonheur
D’un bonheur ingénu qui me lave de toute science.
Je ne sais plus que la couvrir
Le ciel est dans ses bras il ne tombera pas
Je la recouvre de mon corps
Le ciel est dans mes bras je ne tomberai pas.
*
Je t’ai choisie pour nommer l’amour
Tous mes mots sont à elle
Tous mes mots vont à elle
Ils la frappent et l’entourent.
Dans la buée du silence
Dans mes brumes de rêve
Ils dessinent son nom son corps et son visage
Ils l’encerclent comme une nuée de couteaux.
A l’épaule gauche
Vient de l’atteindre le long poignard dur et pur qui se nomme fidélité.
A peine en dessous du cœur
La blesse une larme étrange
La fine aiguille de la tendresse.
Et sur sa bouche une lame se plante
Aigue et brève comme un baiser
Sur le manche j’avais gravé son nom.
Vibrant encore de tout leur élan arrêté
Autour de son sourire dans ces feuillages d’acier
Toutes les armes du langage foisonnent en auréole.
C’est elle que je porte dans mes bras
Comme un sauvage
Dans mes bras et tantôt sur le cœur et tantôt sur l’épaule.
Il fait grand vent autour de moi
Je puis glisser elle ne touchera pas terre
Je la tiens plus haut que moi-même
Sa tête est dans mes yeux le bonheur est plus bas.
Revue « Bifur, N° 4 »
Editions du Carrefour, 1929
Du même auteur : Si rien n‘est vain (15/10/2015)