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Le bar à poèmes
1 octobre 2016

Salmon Mony de Boully (1904 – 1968) : les Moyens de l’Être

 

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Les Moyen de l’Être

Pour Mme Richard Wallace

 

C’était une tumeur épaisse dans le ventre de la terre

La rage charnelle des enfants venus au monde avec un crâne vide

De cerveau qui pend dénudé à leur nuque

Les femelles des Origines au seul cratère à la fois sexe et cloaque

Les ramassis de cheveux d’ongles d‘os et de cartilages

Les moles mystérieux engendrés par le Mauvais Œil des sorcières

     sourcilleuses

Ou conçus par miracle dans le flanc des vierges immaculées

Et tous ceux qui sont nés sans cœur sans poumons sans rate sans reins

     sans foie

Sans bras sans jambes

Décapités

Et pourtant aussi proches que cet être dont je retrace l’itinéraire éperdu

Sur les Voies éreintés par la migration perpétuelle des mânes

Revêtu de la Splendeur hautaine qui le rend semblable à ses semblables

Stupéfait par ce brasier intérieur qui le consume et l’éclaire

O larvés impondérables

Il est la toupie tourbillonnante que petit garçon il fouettait

Jusqu’à perdre haleine

Il est plus ancien que le soleil plus jeune que son père qui lui affligeait des

Punitions formidables quand ses chaussures étaient usées

Et le faisait agenouiller des après-midis entières sur un tas de grains de 

     mais

Quand il s’écorchait la peau des genoux en tombant par mégarde à terre

 

Un voisin marchand de tabac qui n’était pas son parent mais qu’il appelait

     « Oncle »

Le prit un jour à part dans sa boutique balsamée par la sécheresse de l’herbe

     sainte

Et lui dit :

« Il faut que tu saches la vérité tu n’es plus un enfant dans une huitaine

     tu auras 13 ans révolus

« Ecoute-moi bien et retiens attentivement mes paroles

« Tu n’es pas le fils de ce Chef dont tu porteras le joug jusqu’à la mort

     de l’un de vous deux

« Ta mère était enceinte de toi fille-mère avant d’avoir connu ton faux-

père futur

« Et personne  personne dans la ville ne soupçonne l’illicite amour dont

     tu es le fruit pourrissant

« O mon fils Bien-Aimé mon Maître tout-puissant

« Voici une livre du meilleur tabac je sais que tu fumes en cachette »

 

L’égoïste prière machinalement chuchotée la Jeune Fille glissait parmi

     les draps frais

De son lit de fer haut sur pieds

Et s’endormait dans le noir de la chambre où elle fermait chaque soir

     avant de se coucher

Les volets aux fenêtres

Ayant entendu parler des somnambules que la lune soulève comme une

     marée humaine

Vers le clair péril des précipices au bord glissant des toits protecteurs

Une nuit de mai

Un accès subit de fièvre un tremblement de terre au sein du corps

Fit éclore et germer le délire enfoui dans les bas-fonds de ses entrailles

Elle avait peur de poser les yeux sur son buste si tendre dans les miroirs

Tellement était perçant son regard de métal en fusion

Et la vaisselle de cuivre séchant en plein soleil dans l’herbe bleuâtre

     du jardin

Si terne auprès de ses prunelles

Où les larmes s’évaporaient sitôt apparues avec un frou-frou de soie

     froissée

La maison des siens fondit dans ce feu comme un morceau de sucre

     dans l’eau bouillante

Toute la ville s’émietta en une poussière fine mêlée à de la neige lunaire

Mais à quoi bon ! Par un de ses énormes tours d’escamotage

Le jour naissant anéantit de fond en comble les Merveilles qu’enfanta

     la lumière des ténèbres

Tous les murs de la ville se redressèrent tels qu’on les avait bâtis

Dans le but d’abriter le peuple des attaques de folie

Qui font sauter le monde

 

N’y tenant plus

La Jeune Fille s’élança vers les rideaux baissés qu’elle arracha des

     tringles avec le poids

De tout son corps

Brisant les vitres ses mains gantées de sang

Essayèrent en vain d’ouvrir les volets les tirant au lieu de les pousser

Hélas ! elle ne vit point la dernière aube de sa vie brisée comme ces vitres

     derrière des volets clos

Elle se recoucha croyant enfin pouvoir s’assoupir

Mais en vain se retournait-elle de tous les côtés pour s’endormir sans mourir

Le Souffle et la Splendeur hautaine délaissaient à jamais cet enfant

Quand la mère apportant un bol de lait voulut comme d’habitude embrasser sa

    fille

Pour la réveiller

 

Algues nébuleuses rejetées par les vagues du Pacifique déroulé au-dessus de

     nos têtes

Là-haut là-haut sur les grèves où les limbes attendent

Pierres butant contre tes pas menacés par une espèce de nœud-coulant je ne

     vois rien d’autre

Visages taillés à coups de hache bouches sérieuses traces intactes de la lame

O visage insaisissable tantôt rose sauvage tantôt bouse de vache tantôt disque

     de feu

Yeux méchants des gamins écrasant avec des briques un crapaud croupissant

     au fond d’un puits

Et sut les faces impassibles la transparence de l’âme aux prises avec la

     décomposition

Si tu cassais ces pierres de chacune une luciole s’envolerait étincelle ailée

Là-haut jeter le harpon parmi les astres monotones

Filets pleins d’algues plus phosphorescentes que celles de nos rivages

Des pyramides plus hautes que celles de nos déserts s’élèvent

Des pyramides d’étoiles s’écroulent comme les échafaudages de pastèques

     sur le marché

Où enfant tu marchais chargé de provisions accompagnant la bonne qui

     marchandait âprement

Les victuailles

Et proférait d’horribles blasphèmes que reprenait textuellement ta douce

     voix cristalline

Passé présent avenir où sont-ils passés

Ici est Nulle-part et Là-haut est Ceci et Avant est Au-delà

Runes amères gravées d’une main malfaisante au faîte rocheux des

     escarpements

Et celles tracées par les magiciennes sur les feuilles d’arbre médicinales

Cordon ombilical coupé tige de fleur parlante

Chrysolithe octogone très précieux pour qui veut changer de sexe lors

     de sa renaissance

Gosse tu brisais tes jouets mécaniques pour voir ce qu’il y a dedans

Adolescent tu frappais à toutes les portes sans en franchir le seuil rien

     que pour les faire bailler

 

Jeteurs de sort scaphandriers souterrains chercheurs d’or potable

Homme morts d’amour ! Dans le vaste crématoire de la ville tiédissent

     les cendres du Mort-Né

Et les lourdes nuits tumescentes font baver les chiens errants qui ont

     perdu le flair

Quelles rides encore creuses sur le front des souvenirs avaleurs

Ta vie est pour ainsi dire manquée

Ecraseurs de crapauds et de têtes de serpents chasseurs de mouches

     justiciers misérables

Des Zones Inférieures

Reptiles à écailles à venin évanouissantes bêtes grises des cauchemars de 

     Dieu

Agglutineurs de cadavres venez goûter à la viande livide de nos boucheries

Poissons volants oiseaux nageants arbres à sang plantes carnivores syrènes

     chantantes

Femmes à barbe hommes à mamelles mangeurs de verre vomisseurs de

     chenilles

Voie mauvaise éreintée par la migration perpétuelle des mânes

O sérénissime Moyen de l’Être ô larves impondérables

Dévêtu de la splendeur hautaine qui te rend semblable à tes semblables

Superbe pont de perdition arc-en-ciel noir de sang arc-bouté voûté

Comme un fœtus dans le ventre gros de la terre

 

Revue « Le grand jeu, N°III, Automne 1930 »

3, Cour de Rohan, Paris, 1930

Du même auteur : Er l’Arménien (25/08/2015)

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