André Hardellet (1913-1974) : Le voyeur
Le voyeur
Le voyeur a trente-quatre ou soixante-douze ans, il est vêtu
misérablement ou avec recherche, mais, toujours, son attitude
provoque la méfiance ; il ressemble à un homme égaré en plein
midi au milieu de la ville. Malgré son nom, les divertissements
érotiques d’autrui ne l’ontjamais attiré outre mesure : il recherche
de plus déroutants spectacles.
Vous l’apercevrez comme frappé de stupeur devant une porte
cochère, un arbre, un immeuble en démolition. Planté devant la fenêtre
entrouverte d’un rez-de-chaussée, il paraît suivre avec une extrême
attention la scène qui se déroule à l’intérieur — et, lorsque vous vous
approchez, vous constatez que le logement est vide.
Certains affirment qu’il voit, d’où son nom, d’autres qu’il imagine
seulement. Il est possible que le Voyeur ait surpris une fois au moins
une faille dans les façades qui bouchent les regards, sinon on
s’expliquerait mal son obstination (à part sa manie, il se comporte,
dans l’existence, en homme sain d’esprit). Il croit à un complot
permanent des apparences que, seule, la fatigue trahit parfois. Et
c’est ce moment de faiblesse qu’il espionne avec une inlassable
patience, trappeur des grandes cités opaques.
Tel se présente le Voyeur souvent pris pour un homme ivre ou un
pornographe.
Sommeils
Editions Seghers, 1960
Du même auteur :
Fiche de police (23/08/2015)
Poème (15/08/2017)
André Hardellet (1913-1974) : Le voyeur